• TEXTES DES CONFERENCES

    Vous trouverez ci-dessous certains des textes des conférences de l'Equipe Aragon prononcées entre 2008 et 2012. Certaines conférences, publiées en revues, ne sont pas accessibles en ligne.

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    Alain Trouvé (Université de Reims)

     

    Résumé de la communication présentée le 13 octobre 2012 à la Maison Elsa Triolet-Aragon, dans le cadre d’une

     

    Journée d’études organisée par l’équipe Aragon de l’ITEM

     

    Sur le thème des

     

    Murs de la chambre d'Aragon reconstitués

     

    (exposition réalisée par Caroline Bruant, directrice adjointe du Moulin de Villeneuve)

     

     

     

    « La chambre d'Aragon rue de Varenne : scène privée ou arrière-texte ? »

     

     

    Les murs d’images constitués par Aragon dans son appartement, rue de Varenne vers la fin de sa vie ont fasciné les visiteurs du vivant de ce dernier. Grâce à Caroline Bruant et à Luc Vigier1, entre autres, on peut aujourd’hui méditer devant la reconstitution de la chambre. Banal geste de mémoire privée ou entreprise de plus grande envergure ? Création d’un genre inédit ou clef au moins partielle pour comprendre les dernières œuvres d’Aragon, contemporaines de l’élaboration des murs commencée après la mort d’Elsa Triolet en 1970 ?

     

    On doit à Elsa Triolet, qui l’a adapté de sa fréquentation du poète futuriste russe Khlebnikov, l’invention de l’arrière-texte pour rendre compte du mécanisme de création. Aragon l’a repris à son compte et illustré en différentes occasions.

     

    Pour résumer très sommairement ce que peut apporter cette notion2, je soulignerai trois points. L’arrière-texte permet de prendre en compte la complexité du rapport texte-image due à l’hétérogénéité partielle de ces deux modes d’expression. Il fait sa place dans la reconstitution du processus créatif au jeu complexe et multiforme de l’inconscient que figure l’idée de rejet en arrière, « sur une autre scène ». Il est enfin appelé à se dédoubler en une version auctoriale et une version lectorale, le partage de la création s’effectuant sur le plan interprétatif, dans l’interférence des répertoires de l’auteur et du lecteur.

     

    Reste à savoir si cet objet original représente une œuvre à part entière – il faudrait alors lire les murs comme un texte d’images – ou comme répertoire d’une vie d’écrivain et d’une œuvre encore à venir : tel est le parti plutôt choisi ici, tant l’objet me paraît encore fluctuant. N’ayant pas eu accès à la vision de panneaux reconstitués mais seulement au stock des documents rassemblés sur chacun de ceux-ci, je me suis davantage centré sur l’idée de répertoire. J’ai en effet travaillé à partir des diapositives transmises par Jacques Vassevière qui a scrupuleusement photographié et répertorié chaque document sans pouvoir, pour des raisons techniques, me transmettre des clichés exploitables des différents panneaux réalisés dans la chambre.

     

    Dans le panneau 2, l’« Hommage à Jacques Callot » (1942) du lorrain Francis Gruber, peintre expressionniste, a attiré mon œil de regardeur. Pourquoi Gruber ? Le tableau permet de saisir le jeu combiné et vertigineux des références interpicturales et de l’arrière-texte historique reliant ici la Lorraine de 1622 et la France de 1942. Mais Callot est aussi l’objet d’un essai de Michel Picard3, qui fut mon directeur de thèse. Arrière-texte lectoral…

     

    Dans le panneau 4, un groupe vertical retient l’attention. La composition, de la main d’Aragon, rassemble de bas en haut une photographie d’Aloysius Bertrand mort, un portrait de Rimbaud datant de la prime adolescence et une amusante photo de James Dean tenant un porc en laisse. Ceci comme une sorte de phrase picturale dont l’arrière-texte serait à décoder.

     

    Le thème grec, très présent dans les images, notamment celles du peintre contemporain Fassianos, se retrouve dans la section X de la « Cantate à André Masson » écrite en 1976, cantate qui propose notamment en trois pages une réécriture drôle et grave de L’Iliade et de L’Odyssée. Tableaux, sculptures, architecture, souvent reproduits sur des cartes postales laissent affleurer sur les murs la thématique homosexuelle de façon un peu plus nette que dans le texte, bien que les allusions les plus précises figurent au revers des cartes, arrière-texte connu du seul Aragon et non exposé. On peut aussi conjecturer un lien entre la photographie de Dean avec son cochon et le fameux épisode, repris dans la Cantate, au cours duquel Circé change les compagnons d’Ulysse en porcs. La confusion érotique sous-jacente renvoie au bordel et à La Défense de l’infini, illustrée par André Masson, Masson discrètement présent sur les murs de la chambre mais qui fournit pour l’édition de Théâtre/Roman dans la collection des ORC l’illustration du tableau Mines de Falun.

     

    Je m’arrête pour finir sur des récurrences d’images qui donnent à penser ou à rêver. La série du panneau 11-b s’accorde bien à un Aragon poète de la ville et de la verticalité. Si Hugo a pu écrire : « J’ai eu deux affaires dans ma vie : Paris et l’Océan », pour Aragon les deux se ramènent à un. Chez lui, la nature est civilisée, médiatisée par l’art. Le rapport aux éléments n’est bien sûr pas absent (Les Voyageurs de l’impériale), mais s’il y a du paysan chez Aragon, c’est davantage un « Paysan de Paris ». Les clichés de Francisco Hidalgo (dessinateur et photographe espagnol, né en 1929), nimbent la ville d’une atmosphère de merveilleux et situent cet art présumé mineur sur le même plan que celui des peintres (Breughel, Erna Emhardt, Hoffmeister).

     

    Dans cet ensemble urbain, deux contrepoints arrêtent l’attention. Une photographie de Lucien Clergue, « Nu de la mer » (1967), représente un corps féminin troublant. L’horizontalité du buste rompt avec la verticalité de la ville. Ici surgit une de ces images fantômes analysées par Didi-Huberman dans L’Image survivante. Le corps féminin en partie immergé dans l’eau tient de la sirène : trouble dans les règnes. Il ne s’agit pas du tout de la nature brute mais d’une image obtenue par un travail d’artiste avec l’objectif de son appareil. Clergue qui réalisa en 1979 une thèse unique en son genre, tout en images, fut ami de Picasso et intéressa fortement Barthes.

     

    En fin de série, on trouve une photographie d’Emma Wallard bébé, datée de mars 1979. J’ai déjà évoqué dans une précédente communication pour l’ITEM en mars 2012 ce motif qui court dans l’œuvre d’Aragon comme un contrepoint hautement chargé de sens et qui s’entend de différentes façons, au propre et au figuré. La thématique de l’enfant a peut-être été préparée dans cet ensemble par la série des peintures naïves choisie pour représenter la ville. Au figuré, dans Blanche ou l’oubli, l’enfant Avenir meurt étranglé. Dans Théâtre/ Roman, Aragon écrit : « Je te salue à ta naissance ô toi langage / Enfant de mon ventre à l’envers accouché ». Si l’enfant désigne ainsi l’œuvre ou l’idéal politique, il est aussi le prolongement du couple. Dominique Wallard, épouse du photographe Daniel Wallard, figure sur plusieurs photos au verso desquelles on trouve de nombreux messages écrits de la main de son mari et adressés au poète. Tout se passe comme si Aragon, dans l’image du couple Wallard, rêvait une dernière fois sur celle de son propre couple avec Elsa Triolet, rapprochement facilité par une certaine ressemblance des deux femmes. Le couple Wallard représenterait-il le contrepoint hétérosexuel dans le contexte d’une sexualité en proie au vertige de la confusion et du bordel revisité ?

     

    Au terme de ce libre parcours on voit se dessiner deux figures ultimes du référent comme objet de la représentation verbale ou picturale, deux propositions antagoniques et concurrentes à propos du Réel : le réel, c’est le bordel, la confusion des genres et des catégories qui contrevient à toute pensée conceptuelle rigidifiée ; le réel, c’est le pôle alternatif de la différence des sexes, celui que chercha peut-être l’écriture romanesque d’Aragon (Derrida : « Tout récit fabuleux raconte, met en scène, enseigne ou donne à interpréter la différence sexuelle ») et qu’anticipait Le Paysan de Paris (Voir à ce sujet « Le Songe du Paysan » et sa conversion à l’amour d’une femme comme voie d’accès à la métaphysique du concret : folio, p. 242). En donnant à voir, ces murs d’images donnent aussi à penser…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    1 On consultera à ce sujet Luc Vigier, « Les Murs d’Aragon : voix du silence », « Les Référents du littéraire », AIL7, p.181-196, qui synthétise et prolonge les conférences en ligne qu’on peut lire sur ce site.

     

    2 Notion remise en chantier ces dernières années à l’université de Reims.

     

    3 Michel Picard, La Tentation, Essai sur l’art comme jeu , Nîmes, Jacqueline Chambon, 2002. Essai sur une gravure du lorrain Jacques Callot

     


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  • On lira ci-dessous la transcription d'une conférence prononcée par Luc Vigier dans le cadre de l'ITEM le 6 mars 2010. Tous droits réservés.

    Luc VIGIER: génétique des murs (1) [6 mars 2010]De l'homme et de son décor

     On ne sait sous le coup de quelle folie, de quelle urgence ou de quelle rage une intendance ministérielle quelconque décida un mauvais jour de 1983, contre les avis des experts présents sur place, de vider l'appartement de la rue de Varenne de son contenu, alors même que les amis et les proches d'Aragon avaient su dire, notamment par le film, toute l'importance et la dimension de ce lieu : à la mort d'Aragon, la densité esthétique et mémorielle du lieu sautait aux yeux, partout, à chaque pas, dans chaque pièce. Musée vivant construit autour des souvenirs de toute une vie, l'appartement de la rue de Varenne devint assez rapidement un lieu où hommage était rendu à Elsa, figure centrale de la mémoire autour de laquelle s'organisèrent d'autres hommages : à Braque, à Matisse, à Picasso, à Léger, à Ernst, à Man Ray, à André Masson, à Miro dont les oeuvres dédicacées portaient en elles des hommages en miroir. Mais cet espace muséal, dans tous les sens du terme donc, s'était prolongé, développé, comme un arbre, en plusieurs branches et en plusieurs pièces sous la forme de vastes panneaux d'images arborescents, grimpant comme lierre aux murs de la cuisine, au frigidaire, aux portes, aux cloisons du salon, des chambres, des salles de bains, des toilettes et de la cuisine. Les murs devenaient le prolongement de la caverne d'images du salon constituant un décor mouvant, qu'Aragon recomposait régulièrement, dans un mouvement de réécriture perpétuelle que la mort figea. Bien avant, Aragon avait signalé lui-même la naissance et le développement du phénomène dans Théatre / Roman qui propose en « Lever de rideau » (titre du premier fragment) une lecture naturellement théâtrale de ce décor « tout de traviole » :

    « Sarah Bernhardt dans La Princesse lointaine par Mucha préside ce logis tout de traviole, ça ne tient jamais les punaises. Une floppée d'objets inutiles : machineries détraquées, ustensiles de jardin, exotismes improbables, civilisation de la faim. […] Le reste n'est qu' encombrement où trébucher. Sur le bout d'une longue table ni chèvre ni chou, amoncelé, le courrier. Un mur d'images au hasard de la fourchette, affiches, quotidiens jaunis, le XVIIIème siècle et 1910, des soldats découpés dans L'assiette au beurre, le Transvaal et les viticulteurs, des photos de cinéma, Forman, Antonioni. Les cendriers pleins. Mégots avec du rouge. Un puzzle inachevé. Du papier blanc s'éparpille si quelqu'un tousse. Rien d'extra, ordinaire. » (NRF, 17-18)

    A l'évidence, Aragon transpose certains documents vers l'univers théâtral mais nous sommes très proches de la réalité des murs, oeuvre de hasard, certainement, mais enfin d'un hasard un peu concerté, comme on verra, et qui ressortit à une esthétique du chaos ou du kaléidoscope que l'on identifie assez régulièrement, non sans lien avec l'image du manteau d'Arlequin, dans l'oeuvre d'Aragon comme métaphore de la composition :

     « C'est moi seul, ce bouleversement des couleurs, mes cristaux, ce langage muet, cet agencement, cet équilibre tout le temps rompu, ces rectangles de jongleur, ce cheminement polyédrique des pensées contradictoires » ( NRF, 21).

    Plus loin encore, Aragon évoquera ces piles de courriers amoncelées devant la porte de l'acteur Romain Raphaël:

     « […] et il y avait du vent, les lettres dispersées, les cartes postales illustrées, que le ciel des cartes postales est bleu ! [ce texte trouvé sous la porte] peut-être était il dans la pièce déjà, tombé de ma table avec le vent, ce qui avait pu s'envoler de sous le paillasson était autre chose, une de ces publicités comme on vient en déposer sans nom de destinataire... » (37)

     

    Regards et objectifs sur les murs

    Ce spectacle-décor avait de quoi attirer l'oeil et l'esprit d'un cinéaste, ce qui ne manqua pas d'arriver, à plusieurs reprises, à l'initiative de Jean Ristat, qui fut non seulement l'un des témoins majeurs de cette oeuvre baroque, mais participa également à près de quatre films consacrés aux murs, passant ainsi du statut de témoin à celui d'acteur et prolongeant un peu les inclusions vertigineuses de Théâtre/Roman. Jean Ristat avait en effet le premier, et en contemporain de la création des panneaux dans la cuisine et dans la chambre principale, évoqué dans Lord B. (1977) ce "manteau de mémoire" tapissant la "pyramide du pharaon" où il se trouvait avec lui prisonnier, demandant par la suite à Aragon d' en lire, devant les murs, quelques extraits, ce qu'il fit avec application, facéties multiples et ironie, avec un fort et très confus accent d'Oxford. La perception qu'en eut alors Jean Ristat constitue une bien une première lecture de cet édifice vertical qui ne fut sans doute pas sans conséquences sur la poursuite même de cette activité compulsive et créatrice et sur les regards qu portèrent en sa direction les réalisateurs successifs qui pointèrent leur caméra vers les murs. Je songe ici au film de Sarah Maldoror, avec un texte de Jean Ristat, qui s'intitule, Aragon, un masque à Paris, daté de 1978, filmé en 16 mm couleur, d'une durée de 13 minutes. Mais aussi, plus tard, à l'un des épisodes de Dits et non dits, de Raoul Sangla, (réalisé en 1978 lui aussi, en couleurs), diffusé en 1979. Aragon s'y trouve filmé et interrogé sur fond de tableaux dans son salon, qui constitue, avec l'amorce importante de l'entrée où figurait le grand portrait d'Elsa, la matrice de son travail d'illustration qui se poursuivra par contamination et prolifération tout au long de l'appartement.

    Il faut également se référer, En 1980, au film Les Murs d'Aragon, dans l'émission "Paroles d'aujourd'hui et d'autrefois" de Georges Rouveyre, qui a la particularité d'offrir plusieurs vignettes sonores commentant certaines images au mur. Avec un texte de Jean Ristat, lu par l'auteur, qui reprend des éléments de Lord B. On peut y apercevoir le salon recouvert de cartes, mais l'intérêt de ce reportage c'est qu'on s'est moins focalisé sur la mise en scène d'Aragon au masque que sur le commentaire, par Aragon, de certaines images qui, en l'occurrence, fonctionnent comme de véritable déclencheurs de mémoire : Elsa, bien sûr, mais aussi Nancy, Nan au centre d'un bracelet, et quelques photographies, sur lesquelles Aragon reste discret, puis des figures politiques : Thorez, Cachin, Joliot-Curie, dont les visages encadrés de noir ponctuent les murs de l'appartement. Sur Joliot-Curie notamment, Aragon dit qu'il fut un homme « remarquable » à tous points de vue, et l'on se retrouve dès lors devant un Panthéon. De même pour Ritsos, Nezval, Kolar, Neruda qu'Aragon présente comme les meilleurs en leur pays. Arp, ses propres dessins. A noter qu'Aragon commente un fragment de panneau en disant : « il y a dans cet espèce de théâtre, un pigeon voyageur... », ce qui nous renvoie malicieusement à Théâtre/Roman.

    Enfin, l'autre grand film est une oeuvre posthume. Il s'agit de  L'appartement d'Aragon  / Errer dans ces chambres de François Reichenbach et Monique Lepeuve, qui date de 1984, Jean Ristat décrit dans ce film l'appartement comme « une oeuvre en mouvement », « la décoration, l'organisation de l'appartement a beaucoup évolué tout au long des dernières années, c'est-à-dire qu'Aragon n'a pas mis une fois pour toutes des choses sur les murs, il les a modifiées au fur et à mesure que les années passaient. Il faut se promener dans le labyrinthe de la mémoire et y retrouver les couches successives que le temps y à déposées ou bien même que le temps a fait disparaître. Vous savez on enterrait les pharaons dans un tombeau et on les entourait des images principales de leur vie. C'est au fond ce qu'Aragon a construit tout de suite après la mort d'Elsa. » On voit très clairement dans ce film l'enchaînement des pièces, pendant que Maria se souvient du grand changement qui survint dans le comportement d'Aragon après la mort d'Elsa et, d'après la voix off que l'on entend, qui doit être celle de Michel Apel-Muller, qui fut contemporain, 18 mois ou deux ans après la disparition d'Elsa, des punaisages : « ..en ensuite Aragon s'est mis à coller, à épingler, à surcharger les murs de tous les tableaux... »  Maria Macorig date le changement de 1975. Antoine Vitez se souvient de ce « musée » sans les cartes, un « musée plus noble ». « Et de toute façon tout a un sens, ajoute Vitez, et l'organisation, a un sens, parce qu'il y a aussi des affinités et des...des plaisanteries, parce qu'il y a des gens qui ne devraient pas du tout être à côté les uns des autres et qui y sont quand même il y a des cartes qui en réalité ont une influence maléfique entre elles, et il y a des cartes qui sont mises les unes à côtés des autres pour réconcilier les gens, celui-là on va le mettre à côté de celui-là. » Maria rappelle qu'Aragon ne voulait pas qu'on y touche. « Il y a des choses qui sont destinées à nous déconcerter pour l'éternité quand même. » Jean Ristat désigne la chambre d'ami (semble-t-il) comme le point de départ des punaisages avec le panneau d'hommage à Maïakovski. Jean Ristat y évoque la composition thématique. « L'humour n'est jamais absent de ce travail », ajoute-t-il. Plus loin (17,33), Vitez rappelle son travail de secrétaire pour l'histoire de l'URSS et la manière dont il avait disposé de longs rouleaux de date sur le mur du bureau d'Aragon et dit avoir compris à ce moment là qu'Aragon, tournant le long des murs de son appartement, « pensait le temps dans l'espace ». « Et ça je l'ai retrouvé beaucoup plus tard, lorsqu'il travaillait à l'édition de son oeuvre poétique complète,et quand il a commencé à étaler les papiers par terre, c'est à dire à étaler la mémoire par terre là ce n'était plus au mur mais c'était horizontalement, il marchait Il marchait dans, il arpentait sa propre mémoire, c'es à dire qu'il allait comme sur les pierres d'un jardin et il marchait d'année en année et de date en date et la mémoire était étalée au sol et j'ai pensé que cette immense déambulation qui était toute sa vie puisqu'il marchait en parlant (…) il marchait de long en large, dans le couloir, il marchait sans cesse, il explorait perpétuellement sa mémoire, tous ces dessins, toutes ces images, cette iconographie gigantesque, ce musée génial, c'est aussi une manière de toucher de s'entourer de sa mémoire, de marcher de la modifier, la retoucher, de la réorganiser, de la remettre en page sans cesse. » (19,34). Aragon : « la fausse logique de la mémoire .. »

    De même, cet édifice chatoyant et énigmatique attira-t-il l'oeil des photographes. On doit ainsi ajouter à ces regards en mouvement le très beau reportage photographique de Claude Bricage que commenta Jean Ristat dans "De l'importance de la punaise rouge / Dans les collages d'Aragon / Et ce qui s'en suivit / Pour le photographe Claude Bricage (ceci est un collage)" paru en 1982, puis réédité en 2002 dans Faites entrer l'infini. On songe également aux photographies de Daniel Wallard et à l'album de Monique Dupont-Sagorin, aux éditions du Cercle d'Art, qui photographie des murs où, par mise en abyme inévitable, figurent déjà ses propres photographies et lettres.

    Si l'on doit insister sur ces représentations de la représentation, comme le fit Bricage puis Ristat commentant Bricage commentant Aragon, soulignant la mise en abyme de la punaise rouge, c'est que les cadreurs et les réalisateurs n'ont visiblement pas été insensibles à la réussite de ce décor pour cet acteur-là qui revendiqua le rôle et le confort du masque sur fond de mosaïque, de mémoire et d'art. Ceci donne un arrière-plan qui ne me semble pas négligeable sur le plan sémantique comme sur le plan de l'oeuvre et doit être pris en compte comme contexte de rédaction de Théâtre/roman où la scénographie sert de modélisation métaphorique et allégorique aux contours identitaires et sans doute aussi à Henri-Matisse, roman.


    Je veux dire qu'arrivant chez Aragon, Rouveyre, Sangla, Maldoror, Bricage, Rabeux, Willard, Karel, Dupont-Sagorin trouvaient un décor ready-made , tout prêt à s'adapter au cadrage, ou à le déborder. Dans certains passages de ces films, et par l'effet de certains cadrages photographiques lorsqu'Aragon prend la pose devant ses propres fresques, on a ainsi l'impression que les cartes et documents sortent littéralement du corps ou de la tête de l'acteur Aragon ou qu'ils l'encadrent, lui font manteau, protection, ou encore semblent des particules échappées de son imaginaire. Rien d'innocent dans cette mise en scène et ce jeu, puisque le parcours du visiteur était d'un bout à l'autre balisé pour lui qui passait de l'image monumentalisée d'Elsa dans le vestibule d'entrée au couleur surchargées de livres et d'oeuvres, pour accéder en suite par quelques marches au salon-musée, avant d'assister à la prolifération plus intime des cartes dans le bureau, la cuisine et la chambre.


    L'oeuvre murale, la fresque pharaonique, le manteau de mémoire, tout ceci aujourd'hui tient dans deux belles caisses à archives constituées par ceux qui se firent en urgence les sauveurs de ce patrimoine. Jean Ristat, Michel Apel-Muller, Antoine Vitez et bien d'autres prêtèrent leurs mains et leur compétence pour préserver de l'oubli ce qui pouvait l'être et l'on doit notamment à Renate Lance-Otterbein, alors ingénieur de recherche auprès du CNRS d'avoir su classer les cartes postales, les découpages, les fragments de journaux, les cartons d'invitation, les objets, les diplômes, les lettres, les photographies. Nous sommes donc aujourd'hui devant un puzzle défait, où les pièces sont endommagées par le temps mais que nous pouvons partiellement reconstituer grâce aux photographies de Claude Bricage, aux trois films que nous venons de citer, aux photographies de Daniel Wallard, et de l'album de Monique Dupont-Sagorin, aux éditions du Cercle d'art, comme nous l'avons fait à l'occasion de l'exposition du Musée de la Poste.

    La reconstitution est une chose, l'analyse des documents en est une autre. Car l'intérêt cependant d'avoir sous les yeux la structure défaite, le squelette démantibulé, les fragments déchirés de l'étoffe générale est de pouvoir en observer la composition, comme on dirait en chimie et je vous propose dans un premier temps d'en observer les éléments premiers, d'en envisager les techniques d'assemblage et la répartition dans l'espace de l'appartement avant de proposer, pour ce premier volet quelques hypothèses de lecture et d'interprétation.

    Effets d'une neige d'images

    Aragon avait donc pris après la mort d'Elsa l'habitude de parler par image et d'écrire sur les murs et cette activité, d'après le témoignage de Maria pouvait se poursuivre bien après les heures ouvrées, en pleine nuit, à coup de marteaux et d'échaffaudages instables d'où parfois Aragon tombait. D'après les témoignages des proches et des témoins réguliers, le punaisage et l'écriture-image commença aux alentours de 1972 pour se poursuivre au moins jusqu'en 1979, date des documents les plus « récents » que j'ai pu trouver. Cela fait donc près de huit années de punaisage, de rebrassage, de décrochage, huit de composition compulsive, créative, mémorielle, ludique ou poétique.

    Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Trois cartons à archives, de grande dimension, contenant pour l'un une centaine de chemises, pour l'autre une cinquantaine, ce qui ferait approximativement un millier de documents (c'est une estimation qu'il faudra sans doute revoir à la hausse quand j'aurai terminé le recensement). L'ensemble, conservé au Moulin de Saint-Arnoult, se trouve dans un état de conservation tout à fait correct, à l'exception de certains documents de la cuisine qui ont beaucoup souffert de l'exposition aux vapeurs et graisses de la gazinière. La première tentative de reconstitution nous a permis de découvrir un certain nombre de manques et de lacunes dans les panneaux : d'une part en raison des prélèvement qui ont été fait par les uns et les autres au moment où l'on a détaché les documents des murs, et d'autre part en raison du classement à part des manuscrits d'auteurs (lettres d'Eluard, de Picasso etc) et du classement également séparé des tirages photographiques, également regroupés pour la plupart au Moulin, autant que j'ai pu en juger. Si l'on se penche sur ces chemises constituées par l'équipe responsable de l'arrachage des cartes postales, on voit se détacher assez nettement un certain nombre de types de documents d'une part, que l'on peut identifier et classer par leur nature ou par genre si l'on veut, et d'autre part en fonction des thématiques dominantes.

    Sur le plan strictement générique, les murs sont constitués de cartes postales, qui occupent une très grande part de la surface, de cartons d'invitation ou d'invitation à des vernissages, des photographies, de lettres manuscrites, de reproduction d'oeuvres d'art, d'objets personnels comme des plaques d'imprimerie des Lettres françaises, des travaux au crochet en forme d'oiseaux, des plans, des lithographies, des sérigraphies, des morceaux de papiers bruts, des morceaux de tapisserie redécoupés pour leur seul motif, des pages de presse découpées dans des journaux ou des magazines, à l'origine existaient aussi des commentaires, généralement écrits au feutre noir, qui ont dû être classés dans les manuscrits et dont j'ai pu retrouver un où deux exemplaires, qui sont notules ou paperolles écrites sur de la carte puis punaisées. Il faut ajouter à cela une catégorie spéciale d'illustration constituée des oeuvres choisies soient pour l'édition des Oeuvres romanesques croisées soit pour celle de L'Oeuvre poétique. Je précise que tout ceci devrait être pensé en lien avec la scénographie mémorielle des objets divers qui peuplaient également l'appartement, tous chargés d'histoire, comme le rappelle Ristat.

    Encore doit-on distinguer, à l'intérieur des cartes postales celles qui ont été postées réellement et celles qui sont soit des cadeaux soit des achats groupés d'Aragon. Une part est donc de hasard, et l'autre est souvent utilisée comme élément thématique renforçant dans tel ou tel panneau la présence des oiseaux, par exemple.

    Murmures ou du langage muet des parois


    Le silence et la solennité des lieux sont frappants dans le film de Reichenbach, même si la copie dont nous disposons n'est pas très bonne. Pourtant les regards des témoins sur les murs, tout comme les commentaires qu'Aragon a pu faire sur ce "décor" en disent long sur le murmure des murs, leur langage muet et leurs syntagmes sybillins, d'autant plus difficiles à décrypter que ce langage, comme toile de Pénélope, se retissait sans cesse.

    Saturation, mélange, écran

    On perçoit donc d'abord cet ensemble comme mélange, confusions, écran d'images, à la fois obstacle et illustration, tant la saturation finit par dépasser le stade de l'unité de couleur ou de sens pour aboutir à la lecture de l'ensemble. Ceci rejoint l'esthétique du désordre et du bordel, ancienne chez Aragon, et qui croise également le pêle-même évoqué dans Théâtre/Roman, tout comme il croise la réalité de la dérive ou de la dérivation, chaque panneau fonctionnant comme boîte de dérivation du souvenir et vaste échangeur, mais aussi opacité des signes, secrètes étendues qui font habillage et masque, au prix des travestissements des murs d'origine.

    Un mur d'adresses

    Nombreuses sont les cartes postales réelles, comportant un texte, une adresse, un signe amical, ou encore les cartes lettres comme celle de Daniel Wallard, constituées de tirages originaux associés et collés à des lettres. On ne peut se départir de l'idée que malgré le silence et l'énigme, ces murs étaient et sont encore des lieux de voix multiples, associées, mouvantes et croisées, en fonction du parcours des visites et de l'intensité des relations de reconnaissance. Ce mur devient ainsi une gigantesque lettre, aux pages multiples, des murs faits d'alvéoles épistolaires, et l'on pense également à quelque grand panneau d'ex-voto. La communication va donc dans les deux sens: le message parvient à Aragon qui l'accroche et en fait un autre message, depuis le mur. Double lettre, renvoi à l'expéditeur. C'est une part du murmure des murs, bruissant de toutes les amitiés récemment nouées, les souvenirs écrits, au verso, tandis que sur la peau du recto, l'image envoie un tout autre signal, recyclé, recomposé, retissé, ou s'enfouissent publiquement les secrets.

    Le mur-mémoire

    C'est sans aucun doute l'une des fonctions première, principale et réflexe de ce punaisage et le sens de la saturation du mur par Aragon : faire des murs des stèles, des lieux de mémoire, et transformer chaque image en marqueur, en aide-mémoire, au sein d'un pêle-mêle très dense qui dans un premier temps tout au moins, pouvait servir de plate-forme d'écriture, avant de se transformer, avec sa syntaxe propre et ses signes muets, en écriture même. Le visage d'Elsa survivra ainsi à toutes les campagnes de renouvellement et de transformations de ce musée fantastique de la mémoire : annoncée par le gigantesque portrait de l'entrée, qui fut sans doute celui de ses funérailles, elle apparaît ensuite dans toutes les pièces, sur les portes, sur les volets, sur les murs, à des âges divers.

    Géographie et territoires

    Il y a bien sûr la géographie et la cartomancie de l'appartement, la géomancie, donc, le rapport de certaines pièces avec certains portraits, mais il faut considérer aussi tout ce qui concerne les voyages des uns et des autres, comme références réelles: Grèce, Italie, Urss. La spacialisation de l'appartement, associant tel document russe lié à la jeunesse d'Elsa Triolet ou Maïakovski à la chambre dite "Rostropovitch", par exemple, crée des espaces-histoires affectueux et dédiés. Plus largement, il s'agit d'une forme de géographie de l'image, ou de la faculté imageante: ces murs de cartes,observés de près ou dans leur globalité, disent le rapport essentiel, profond, permanent d'Aragon à l'image, c'est-à-dire ici à la reproduction, à l'illustration, sans d'abord le lien avec l'image mentale. L'image sert de support à la mémoire, elle en est l'illustration précise, représentation fidèle des lieux, des visages (portraits en série), des oeuvres. Et cela se complique encore des emprunts faits aux corpus des illustrations présentes dans les Oeuvres romanesques croisées dont on retrouve des fragments sur les cloisons, eux-mêmes fortement connotés. A l'évidence, les dossiers préparatoires et les originaux de ces dossiers iconographiques préparatoires à l'édition des ORC ou de l'Oeuvre poétique sont passés de l'horizontalité et de la dispersion du sol à la verticalité des murs, constituant une fantasmagorie de papier ou, pour reprendre le mot d'Aragon dans Théâtre / Roman, une péri-féérie". Ceci n'est pas sans rapport non plus avec ce qu'on a pu dire ailleurs du système des illustrations dans Les lettres françaises et du principe de la lanterne magique associée aux écrans de la mémoire collective. A plus d'un titre nous sommes à nouveau, mais à titre privé cette fois (à moins qu'on ne considère les Lettres françaises comme une sorte de féérie personnelle) devant un spectacle à la lanterne magique reconduisant le principe des vues et des plaques de verres présentes du Paysan de Paris au Poètes, en passant par Le Roman inachevé

    Une constellation de signes et de secrets

    Il faut, pour comprendre l'enjeu général de ces documents, se souvenir de ce que disait Aragon d'un certain tableau de Kandinsky, dans Les Incipit, constitué d'un damier noir et blanc sur les cases duquel étaient répartis des signes abstraits constituant une forme d'alphabet personnel. A bien y regarder, avec un regard sémiotique, les murs d'Aragon ne fonctionnent pas différemment: palette de signes, conjugaison complexe de symboles et d'allusions, ils sont un damier gigantesque où viennent s'inscrire les secrets du présent comme contre ceux du passé. Interprétables à la fois sur le plan référentiel, ils restent toutefois opaques. Vitez, dans le film de Reichenbach, confirme: "Il y a des choses dans ces murs qui nous resteront à jamais incompréhensibles".

    Alain Jouffroy parle dans ce sens d'une sémiotique du collage:

    "Il avait fait installer la lumière dans un placard à livres où il n'a vu longtemps que du noir et dans chacune des modifications qu'il apportait à ce gigantesque collage de cartes postales, de lettres, d'affiches, de dessins, de tableaux qu'il appliquait sur tous les murs de chaque pièce et du grand couloir central, jusqu'aux plafonds et même jusque sur les rebords de son lit et de sa baignoire, il a cherché peut-être à capter, telle une araignée hypnotique, la mouche imbécile du XXème siècle.

    Ce patchwork final se confond probablement avec la partie immergée de l'iceberg et, si l'on s'était donné la peine de le photographier dans tous ses recoins et dans sous détails, on eût sans doute fini par y découvrir les réseaux de cette société secrète de la poésie qu'Aragon a fondée à l'insu de ses admirateurs, comme à celui de ses indéfectibles détracteurs. On avait beau lui poser des questions à ce sujet, il vous parlait toujours d'autre chose, de la Grèce, de Ristos ou de Fassianos, par exemple, ce peintre enivré par un philtre paradisiaque qu'on appelle couleur ou bien lampe, d'un meuble que je ne sais plus quelle princesse avait envoyé je ne sais trop quand d'une Italie réinventée mille fois...ce vaste collage de personnages et de vies multiples s'illustre de canevas et de motifs qu'on pouvait deviner à l'envers de cette tapisserie patiemment nouée par le temps...[...] Le puzzle indéchiffrable d'une vie [...] Comme le Rimbaud d'Une saison en enfer, il eût pu dire, à tous les instants de sa vie: "Je suis caché et je ne le suis pas."[...] Il semble que la voix d'Aragon, plus proche, plus intime que jamais, épouse le clair-obscur des mots entre le parler et l'écrit, l'image et la lettre, pour donner naissance à une sorte de poème scénique dont il est l'acteur privilégié et où il se métamorphose en ces propres décors [...] Un Aragon au cents mille yeux d'Argus" (Louis Aragon, Carnet de route, Editions du Rocher, 1993, photographies de William Karel, p. 21)

    On rejoint aussi l'hypothèse de Ristat sur le montage et la syntaxe de la punaise, qu'il faut associer à la problématique du montage, du collage et ensemble de rushs cinématographiques ou concaténation de touches de couleurs, à la manière d'un peintre qui utiliserait le figuré pour créer un ensemble abstrait de signes.

     

     


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  •  Luc Vigier

    Les murs de l'appartement de la rue de Varenne (2)

    On lira ci-dessous la transcription d'une conférence prononcée dans le cadre de l'ITEM le 14 mai 2011. Tous droits réservés.

    Communication du 14 mai 2011

    Luc VIGIER: Génétique des murs (2) [Conférence du 14 mai 2011]Je vous propose aujourd'hui une seconde étape dans la lecture des murs du 56 rue de Varenne, qui prélude à bien d'autres séances, comme je vous le disais en mars, tant le matériau mosaïque dont nous disposons aujourd'hui requiert notre attention, autant dans le détail de chaque pièce que dans son dispositif d'ensemble ou son agencement sémantique. C'est un travail que j'ai entamé il y a déjà plusieurs années, observant avec étonnement ces cartons posés sur le sol du grenier de Saint-Arnoult, je veux dire la bibliothèque, à l'intérieur desquels dormaient les vestiges de ces constructions étranges d'images. Elles étaient devant nous comme des phrases disloquées d'une œuvre non détruite mais démontée. On doit aux soins de Renate Lance, Michel Apel-Muller, Lionel Follet, Marianne Delranc, Suzanne Ravis et Jean Ristat d'avoir aujourd'hui ces dossiers, qui entrent à leur manière dans le dossier génétique du fonds Aragon. Depuis, l'exposition du Musée de la Poste sur Aragon et la peinture, avec la singulière motivation de toute promotion publique, nous a permis de relancer le processus de reconstitution (grâce au travail de Caroline Bruant, directrice adjointe du Moulin de Villeneuve à Saint-Arnoult en Yvelines, Bernard Vasseur, directeur et Josette Rasle, commissaire de l'exposition) dont l'on peut espérer qu'il se poursuive au delà des quatre panneaux déjà disponibles. Ces document requièrent notre attention dans la mesure où les fresques d'images et de textes murmurent à nos oreilles des choses parfois identifiables, parfois mystérieuses, qui fonctionnent comme des appels, des incitations, et constituent l'ensemble en cathédrale allusive. Cette requête, ces paroles muettes, ce murmure du mur que j'évoquais dans ma précédente communication a bien entendu attiré l'oeil de nombreux témoins, d'autant plus sensibles à cette sorte d'oeuvre que ces murs parlaient précisément d'eux et du roman affectueux qui se tissait alors entre Aragon et Jean Ristat, Hamid Fouladvind ou Antoine Vitez, et bien d'autres, que nous aurons peut-être du mal à identifier. C'est à Jean Ristat qu'on doit les principaux reportages directement ou indirectement consacrés aux murs, qui redoublent ce qu'il a pu en dire à l'époque dans Lord B. et plus tard dans Tombeau de Monsieur Aragon. C'est ainsi que j'ai pu évoquer devant vous lors de notre dernière séance ces films réalisés entre 1977 et 1979 mais aussi les différents reportages photographiques, de Rabeux, Wallard, Dupont-Sagorin et de Claude Bricage. Je crois me souvenir avoir attiré votre attention sur ce qu'en dit Vitez dans le film en noir et blanc de Reichenbach, dont je vous rappelle les propos, que j'ai transcrits. « Il y a des choses que nous ne comprendrons jamais".

    En vous priant de considérer que ce propos d'aujourd'hui n'est qu'un moment dans une enquête plus vaste, j'évoquerai ce matin le lien organique qui relie l'oeuvre des Murs à certaines déclarations plus anciennes d'une part sur le décor et sur les « grilles » et « quadrillages » sémantiques qu'Aragon recomposa et compléta pendant près de dix années. On verra que ce préliminaire de nature sémiotique s'avère indispensable à la compréhension des croisements et des interactions générés par la disposition des documents dont il nous faut déplier les lignes et entrevoir les récits, et tout d'abord dans ce que les murs disent des figures majeures de ces années de deuil et de dépassement où l'effervescence amoureuse se conjugue à un travail éditorial majeur dont on sait je pense la place qu'il donne à l'illustration, qui est celui de L'Oeuvre poétique, tout comme il est contemporain de l'édition d'Henri Matisse roman et de Théâtre / roman. Mais il s'agit bien de figures et l'on s'intéressera enfin au processus créatif tel qu'on peut le deviner dans le dialogue métonymique des images rapprochées et disposées en constellation de signes, où l'oeil comme la mémoire sont invités à se perdre.

    ...ils connaissaient cette fascination des hiéroglyphes sur les murs (« Du Décor », OP1, p.56)

    Ce que révèlent les films et les témoignages c'est que ces murs relèvent assez fortement de la problématique du décor dont il faut souligner l'importance dans cette période où s'écrit Théâtre / roman mais que l'on doit également mettre en rapport avec l'intérêt comme vous savez très ancien de notre auteur pour le décor cinématographique : « Ces courageux précurseurs », écrit Aragon en 1918 dans « Du Décor » lorsqu'il évoque les premiers tenants de l'art brut, 'qu'ils fussent peintres ou poètes, assistent aujourd'hui à leur propre triomphe, eux qu'un journal ou un paquet de cigarettes savait émouvoir, quand le public tressaille et communie avec eux devant de tels décors dont ils avaient prédits la beauté. Ils connaissaient cette fascination des hiéroglyphes sur les murs, que l'Ange les ait tracés à la fin d'un festin ou que le destin n'en ait imposé la hantise ironique sur le chemin d'un héros malheureux. Ces lettres qui vantent un savon valent les caractères des obélisques ou les inscriptions d'un grimoire de sorcellerie : elles disent la fatalité de l'époque. Nous les avions déjà vues, éléments d'art, chez Picasso, Georges Braque ou Juan Gris […] Oh ! Ce mur quadrillé des Loups sur lequel l'homme de Bourse, en bras de chemise, écrivait le cours des valeurs ! [...]à l'écran se transforment au point d'endosser de menaçantes ou énigmatiques significations ces objets qui, tout à l'heure étaient des meubles ou des carnets à souche. Le théâtre est impuissant à une pareille concentration émotive. » (OP1, p.56)

    Les films et les reportages photographiques utilisent spontanément les murs de l'appartement comme élément de décor et il semble parfois qu'Aragon ait prévu, non pour le cinéma, mais pour ses proches, ce décor de hiéroglyphes et de signes que l'on aperçoit derrière lui dans toutes les pièces, à partir semble-t-il de 1971-1972, ou dès 1970 selon certains témoignages. Nous sommes donc devant un travail de composition et de couture qui relève peut-être de cette très ancienne passion d'Aragon pour le décor mais également d'une attention remarquable dans les années soixante à la présence de l'abstraction au cœur même des arts figuratifs, à commencer par Matisse, dont Aragon souligne le travail sidérant du geste graphique, aboutissant par exemple, au bout d'une série de dessins, au « signe bouche », qui tient à la fois de la recherche figurative et d'une forme d'alphabet abstrait, dont l'expression peut se retrouver, détachée, dans d' autres œuvres. Plus proche encore de l'édification des murs, on se souviendra de ce qu'Aragon écrit de Kandinsky dans Les Incipit ou je n'ai jamais appris à écrire, où se combine la définition de la création comme écriture du secret et l'univers personnel des signes :

    « Ecrire ses secrets n'était pas qu'une idée d'enfant : c'est peut-être la clé de tout art, qui se propose, au-delà du langage, un langage à soi, la création de signes, à la manière de Matisse ou à celle de Kandinsky ».

    La tentation est forte, et l'on verra concrètement pourquoi dans le troisième temps de cette communication de rapprocher les propos d'Aragon sur les alphabets secrets des peintres et des écrivains, du travail de composition et de la syntaxe allusive du mur, ne serait-ce que visuellement parlant, par exemple dans cette photographie du mur de la chambre, telle qu'a pu la photographier Claude Bricage.

    Les témoins d'Aragon reproduisent du reste, par conviction, ou par imprégnation, cette évolution de la pensée de l'art chez Aragon comme projection abstraite de signes, en reprenant à leur compte la dimension hiéroglyphique du dispositif d'images, lui-même fortement lié aux énigmes déposées dans les grands romans aragoniens des années soixante, en un temps où il l'on parle ardemment de sémiotique textuelle. Je peux rappeler ce que dit Ristat du manteau du pharaon dans son texte sur les murs, mais aussi ce qu'en dit Hamid Fouladvind dans Aragon, un anti-portrait (Maisonneuve & Larose Archimbaud, 1997) dont l'expression relève parfois de la reprise ou du pastiche. Evoquant, entre guillemets, le « jardin d'hiéroglyphes », Hamid Fouladvind peut ainsi écrire au sujet des dessins d'Aragon : « Le regard, parti à l'aventure, peut recoller bout à bout les séquences éparses d'une bande dessinée, le feuilleton imprévisible d'un long récit intérieur » (14), dont nous entendons bien qu'il renvoie ainsi au travail d'Aragon sur les séries de fusain de Matisse, dont Aragon rêve le grand dessin animé mental dans Henri Matisse, roman. De même, Hamid Fouladvind peut-il reprendre l'introduction des collages en écrivant, pour présenter les dessins d'Aragon : « Dire, écrire ou dessiner procèdent d'une même singularité » (11) propos que l'on pourra relier aisément à la préface des Collages, en 1967 : « Ecrire et peindre, c'était un même mot en Egypte ancienne ». De même encore, H.Fouladvind reprend à foison la métaphore de la lanterne magique, dont j'ai eu l'occasion de parler l'année dernière à propos du dispositif d'images dans les pages-écrans des Lettres françaises. C'est ainsi également, qu'on peut lire sous sa plume l'idée intéressante qui voudrait que ces dessins d'Aragon soient issus d'une « narration souterraine » (16) « où chaque vision semble extraite d'un film muet » (16). Outre l'évidence d'une imprégnation par la parole aragonienne des pensées de Hamid Fouladvind et de Jean Ristat, qui constituerait en soi un sujet de réflexion, ces écrivains et poètes étant devenus, malgré eux, des intertextes vivants, on soulignera ici l'approche cohérente, par Aragon, bien des années avant la constitution des Murs, des dispositifs d'illustration comme ensemble des signes et de secret.

    C'est la raison pour laquelle on ne peut détacher l'écriture murale des années 1971-1980 du formidable travail du grand utilisateur d'images que fut Aragon, dont on entrevoit la source bien entendu dans le travail concret des surréalistes dans l'illustration de La Révolution surréaliste, puis dans Ce soir et enfin, dans le cahier « Tous les Arts » des Lettres françaises et enfin, à plus grande échelle, dans l'ensemble des Les Lettres françaises que j'ai eu l'occasion de décrire comme le « grand imagier », selon le mot des Lettres Françaises à propos des illustrations de Gustave Doré. En parallèle du travail d'illustration des Lettres françaises, on songe également au travail monumental d'édition des œuvres romanesque croisées puis, après la mort d'Elsa, à partir de 1974, à la création de L'oeuvre poétique complet que Ristat décrit de manière significative en se rapprochant de l'évocation par Antoine Vitez des chantiers impressionnants de textes et d'images (« Aragon, littéralement, marchait dans son oeuvre », Ristat), Vitez évoquant pour sa part cette marche d'Aragon dans le temps de l'Histoire, lorsque Vitez travaillait pour lui à la documentation chronologique et factuelle pour Histoire parallèle. Le lien entre le travail éditorial de l'Oeuvre poétique complet est assez aisé à établir dans la mesure où l'on retrouve, régulièrement, des illustrations numérotées, dimensionnées, ou recadrée pour le clichage et l'insertion entre les textes. Cependant, en passant du sol sur lequel Aragon étalait avec Jean Ristat les documents, et puisque les tables étaient évidemment trop petites pour tout supporter, l'image a changé de statut : elle n'est plus la circonstance qui vient contextualiser le texte d'une époque oubliée, elle n'est plus l'éclairage esthétique ou graphique qui vient donner lumière aux allusions d'un propos ancien, elle n'est plus tant objet esthétique, elle se projette sur les murs dans le pur processus de sa combinaison allusive dans l'ensemble constitué, en hors-texte définitif, et presque hors-langage. L'assemblée des images, qui garde sa parenté lointaine avec les « vues » de la lanterne magique du Roman inachevé et rejoint aussi le figure du « montreur » des Poètes, se replie sur elle-même en une tapisserie énigmatique et ocellée, où l'on est autant regardé que l'on regarde, non parce qu'Aragon avait pris le soin ironique de placer ici et là dans la texture quelques miroirs dont s'amusa Dupont-Sagorin, mais parce que ces cartes postales, affiches, photographies, documents et reproductions semblent être autant de fenêtres ouvertes sur la mémoire personnelle des habitants du lieu, sur le mode du « cela vous regarde », et qui implique un dialogue d'ordre privé entre les habitants et les murs. On notera enfin que les documents, manuscrits et textes inclus dans la tapisserie tendent à perdre leur statut textuel d'éléments lisibles, pour devenir à leur tour des images de texte, non plus à lire, mais signe d'une présence textuelle et signifiante située désormais dans un autre espace, de même que les images, tout en continuant de faire rayonner leur énigmatique allusive, s'inscrivent dans un processus d'écriture qui fait de l'ensemble, sans doute une fresque, mais comme le suggère fortement Jean Ristat lorsqu'il évoque la « syntaxe de la punaise », un texte, mais un texte d'image, ein Bild, comme le suggère cet étrange insertion par Aragon d'un texte-image « Ein Bild für Scapini », ambassadeur français à Berlin dont Aragon rappelait le passé de collaborateur ( ??, vérifier dans film), les images d'Aragon traduisant, selon H. Fouladvind « les variations d'une écriture qui se passerait de mots » (16) et qui aboutirait, toujours selon lui à un état où la série des images « prennent la forme d'anagrammes, de rébus ou grilles de mots croisés. Ils se mélangent dans le fourmillement des signes pour devenir un abécédaire typographique, un jeu de dominos dont le poète connaît les règles » (36).

    Je vais te dire un grand secret, le temps c'est toi

    La lecture des Murs d'Aragon doit certes tenir compte des œuvres de hasard, des affiches arrachées, du mouvement de recomposition perpétuelle du mur, ou plutôt, si j'en juge par les photographies prises à des époques différentes, par augmentation de la matrice d'images initiale, disons la part aléatoire de ce travail, mais le mur fonctionne à plus d'un titre comme une grille de signification et d'allusion, à lire iconiquement et dans tous les sens. Je voudrais tout d'abord étudier quelques exemples d'allusion transparente pour les proches d'Aragon dont je ne m'étonne pas que les amis discrets n'aient pas toujours pu ou oser les regarder de près. Interrogeant les uns et les autres, j'apprends que les visiteurs simples, évidemment impressionnés par les lieux, ne pouvaient pas lire les murs, qui se présentaient comme des surfaces bouillonnantes, colorées, vertigineuses. Pour les plus intimes, les murs étaient en revanche un vrai journal de vie, d'affection de désir, où se croisaient à la fois les amours, l'art et la littérature dans une interférence appuyée des époques et une écriture iconique du temps. Si l'on s'approche indiscrètement des murs, des portes, des couloirs, et notamment dans la chambre et la cuisine, deux lieux d'une grande densité, on perçoit, dans le prolongement des hommages appuyés de la pinacothèque centrale (dont les originaux ont progressivement disparu, semble-t-il à la fin de la vie d'Aragon) à André Masson, Georges Braque, à Man Ray, à Miro un développement des accrochages qui se fait sur le mode affectif, amoureux ou érotique. Autour du cénotaphe à Elsa, situé à l'entrée, dont je montrerai les prolongements dans le reste de l'appartement, se déploient des hommages à d'anciennes et fortes passions (Eyre de Lanux, Nancy Cunard, voir des extraits de Avec Aragon) mais aussi des allusions appuyées aux jeunes gens ou la séduction masculine, généralement sur le mode humoristique ou esthétique. On pourra me reprocher ici, à tort ou à raison, d'explorer le misérable tas de secrets de l'existence humaine, mais c'est un point de départ en vérité de lecture des murs, dans la mesure où ce sujet en particulier essaime et se déploie par contacts successifs et nous permet de démonter un peu le système d'écriture, j'allais dire la stylistique allusive des murs.

    Si l'on se réfère à ce premier exemple, issu de la chambre, on voit à quel point les plans allusifs se croisent selon la grille que j'évoquais tout à l'heure, avec cette particularité, pour cet agencement d'intégrer lui-même une grille qu'on aperçoit dans le plan de la fête de L'Humanité. Aux noms des deux jeunes artistes, dont Gianni, qui est un proche de Jean Ristat à cette époque, se trouve associés des cartes postales, qui pour être sans doute des souvenirs de voyage, n'en sont pas moins d'abord perçus comme une série de corps masculins dénudés, au moins pour la partie gauche de ce fragment de panneau : la composition allusive a bien lieu ici sur au moins quatre cartes, et peut-être une cinquième, cette colonne brisée, où il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour apercevoir ce que l'on devine. Cela donne au titre « Fête de l'Humanité » une connotation singulière, même si au départ il est possible que l'exposition ait effectivement eu lieu lors de la fête de l'Humanité.

    Ainsi donc, le hasard fait ici se côtoyer une forme d'écriture du désir et une mise en abyme, peut-être, de la grille sémiotique, à ceci près qu'il nous manque les lettres et les chiffres du mur pour en saisir exactement l' absysse et l'ordonnée. Si l'on remonte un peu plus haut dans ce panneau très composé, on trouve ce portrait d'Aragon, peut-être de Daniel Wallard, entouré de pièces plus difficiles à interpréter mais où l'on retrouve le principe plusieurs fois repris dans La Révolution surréaliste du portrait central entouré de photographies plus petites qui se développent soit comme des gardes d'honneur, des protections, soit comme des paradigmes qui se développent à partir d'une thématique centrale, à la manière aussi de certains cabinets de curiosité du XVIIème siècle et en particulier les cabinets botaniques, où l'on épingle les insectes et leur reproduction, art que Gianni Burattoni connaît bien, lui qui vient de présenter une exposition sur ce thème. Le rapprochement, pour l'ensemble du mur avec les travaux de collage et d'association chez Dali est particulièrement attractif. Ces cellules et ces séquences de cartes et d'images se déploient dans tout l'appartement et l'on peut repérer les fils tissés entre les souvenirs, les corps et les lieux, eux-même fréquemment associés à de véritables voyages, en Grèce, en France, en Italie notamment. En remontant vers le haut du panneau, où trône donc la figure centrale du patriarche, les choses se compliquent , ou parlent autrement : la figure du magnifique vieil homme est mise en contact avec trois éléments, constituant un énoncé iconique. A droite, en partant du bas, un portrait de femme (juste au-dessus de vignettes représentant Joliot-Curie et Cachan, puis une photographie retravaillée d'Aragon et enfin, au-dessus, un personnage que je n'ai pas réussi à identifier à ce jour. Si la photographie de la jeune femme renvoie aux années trente, le dialogue du portrait central et des deux autres photographies renvoient davantage à la problématique de la vieillesse et de la vanité, dont on sait la prégnance dans les romans et poèmes d'Aragon depuis les années cinquante. Les portraits photographiques , dont Aragon use et abuse dans Les Lettres françaises, deviennent ici les éléments d'un auto-portrait composite dont le concept s'étend à l'ensemble de l'ouvrage. Si l'on se réfère au principe de ce premier panneau, Aragon semblerait organiser les choses autour de lui, redoublant ainsi le décor dans lequel il s'est inscrit dans l'espace physique de l'appartement. Les allusions au désir des corps de jeunes hommes fourmillent dans l'ensemble de la fresque, au fil d'associations plus ou moins ludiques ou de simples hommages, comme cette exposition « Les Muscles d'art » de Jean-Louis Guillemain, ou cette photographie de Jorge Donn, le célèbre danseur du Boléro de Ravel dans le film Les Uns et les autres de Lelouche, en 1981, ou encore cette photographie coloriée par Aragon à l'entrejambe suggestive, ou encore ce petit mot signé d'Hamid Fouladvind. Les signes ne manquent pas, dans les représentations de sculptures ou les tableaux, d'un intérêt punaisé pour les corps masculins et leur jeunesse éclatante, dans une atmosphère constamment esthétisée, à la fois distanciée par la neutralité de la carte postale et animée par la succession des panneaux. Ce principe de la séquence, souligné par H. Fouladvind et dont je disais qu'il provenait de ce qu'en disait Aragon dans les séries de fusain sur Matisse, se retrouve dans ce défilé des corps et des visages. Ces panneaux, en fonction des parcours du regard, s'animent d'une vie étrange, liées aux associations propres au spectateur, sans doute d'abord et surtout Aragon lui-même qui compose les murs comme des tableaux de mémoire et de désir. Jean Ristat a peu évolué dans son discours sur les murs, mais je trouve qu'il accentue dans Avec Aragon la dimension volontaire de cette écriture :

    « Rien n'était laissé au hasard » etc (p.151-152)

    Et à contempler ce que j'ai nommé le panneau Bogdanov, par référence au portrait des deux frères jumeaux en haut à droite de cet ensemble, on comprend à quel point cette fresque fonctionne en effet comme une écriture où Aragon laisse libre cours aux chemins biographiques intérieurs. La structure de l'affichage croise les motifs avec une belle cohérence de couleur, de thématique, et simultanément une cacophonie allusive dans laquelle nous ne pouvons que faire des hypothèses : mais enfin, ces deux hommes en haut à droite peuvent nous renvoyer discrètement au fameux thème des hommes doubles, à peu de distance de la thématique du double développé dans Théâtre / Roman tandis que monte dans le panneau la tendresse des mains entrecroisées (Rodin), des sculptures en forme d'oreiller, une affiche de Patrick Juvet en costume rouge et patins à roulette, tandis qu'un peu plus bas, sur ce panneau présent dans la cuisine, on aperçoit en caractère cyrillique le mot « réalité » proche d'une photographie des toits du Kremlin (?).

    A l'image de cette sculpture , les murs deviennent cette peau d'images où s'inscrivent l'Histoire, les œuvres d'art, la parole humaine, les images de sa vie, l'aveuglant et le couvrant d'un manteau de signes, qui sont parfois les signes de l'amour.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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  • Yves Lavoinne, professeur Centre Universitaire du Journalisme, Université de Strasbourg (Laboratoire Interuniversitaire des Sciences de l’Education et de la Communication (LISEC) EA 2310)

    La culture à l’heure de son internationalisation : l’impératif de diffusion

    (Aragon, Malraux, Sartre 1947)

    Au cours des années suivant la Libération, la diffusion de la littérature et de la culture constitue, dans le cadre national comme au niveau international, un enjeu important, sur les plans culturel, politique et économique. Pour en percevoir les conséquences sur la vie intellectuelle en France, je vous propose de relire « La Culture et sa diffusion », discours qu’Aragon prononça le 27 avril 1947, au congrès de l’Union Nationale des Intellectuels. Avec deux autres textes1 et surtout, du point de vue qui est le nôtre aujourd’hui, « La Culture des masses ou le titre refusé », ce discours a été recueilli dans La Culture et les hommes (Ed. Sociales, 2 septembre 1947).

    En avril 1947, la conjoncture politique est lourde. Sur plusieurs points (refus des crédits pour l’Indochine, répression à Madagascar, prix et salaires), le PCF se démarque de la politique menée par le gouvernement de Paul Ramadier, où il a 4 ministres et la vice-présidence du Conseil (M. Thorez). Le 4 mai, le président du Conseil révoque lesdits ministres, ce qui signe l’entrée de la France dans la guerre froide.

    Pour mieux comprendre la singularité du discours du 27 avril, on le mettra en perspective avec quatre autres textes d’Aragon et de ses cadets, Malraux et Sartre :

    - les conférences prononcées par les trois hommes en Sorbonne en novembre 1946 ;

    - « Qu’est-ce que la littérature ? », texte feuilletonné dans les numéros 17 à 22 des Temps modernes (février-juillet 1947), puis recueilli dans Situations II en 1948 ; sorte de manifeste où Sartre dégage une manière de faire commune aux écrivains qui acceptent (rêvent) de se ranger sous la bannière des Temps modernes, car il se veut le héraut (« nous » générationnel2) de la nouvelle littérature d’une France libérée qui veut (peut-être) opérer une révolution.

    Les trois conférences en Sorbonne furent données dans le cadre d’un cycle de 27 conférences organisées par l’UNESCO à l’occasion de sa naissance (4 novembre) et de l’ouverture de la première session de sa Conférence générale (Paris, 19 novembre - 10 décembre 1946). Sous des angles différents, les trois écrivains envisagent l’avenir de la culture à l’heure de son internationalisation.

    Le 1er novembre 1946, le cadet, Jean-Paul Sartre traite de « La Responsabilité de l’écrivain. » Auteur de romans, de pièces de théâtre, philosophe, scénariste, bientôt homme de radio3, il joue un rôle important sur la scène française, car, depuis l’automne 1945, il dirige Les Temps modernes, revue qu’il a créée (n° 1, 1er octobre 1945) et dont le titre a une valeur programmatique. N’ayant que « cette vie à vivre, au milieu de cette guerre, de cette révolution peut-être », l’écrivain a une responsabilité et doit donc s’engager :

    « L’écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi. Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher. »4

    Le 4 novembre, romancier, essayiste, réalisateur de L’Espoir, ancien ministre de l’Information du général de Gaulle (21 novembre 1945 - 20 janvier 1946), André Malraux aborde le thème « L’Homme et la culture artistique. »

    Enfin, le 28 novembre, l’aîné, Louis Aragon, doit traiter, lui, de « La culture de masse », dans un contexte politique crucial : la candidature à la présidence du Conseil de Maurice Thorez dont le Times a publié une interview le 18 novembre. Or, au début de sa conférence, Aragon refuse le titre proposé et lui en substitue un autre : « Les Elites contre la culture. »

     

    1. Le devoir de vigilance sémantique

    Pour le lecteur de « La culture et sa diffusion », un trait ne manque pas de le frapper ; d’emblée, Aragon énonce un impératif de vigilance sémantique à propos d’un thème qui pourrait sembler limpide dans le congrès d’une association intellectuelle :

    « Il ne saurait être question de diffusion de la culture si tout d’abord on ne définissait pas d’une façon précise les termes que l’on emploie. »

    Le début du discours est donc consacré à (re-)définir les deux termes, « culture » et « diffusion. » Car Aragon affirme son « refus de toute espèce de perversion dans ce domaine », une constante chez lui, en cette période. Ainsi, en novembre 1946, il considérait que la « perversion des mots » chez « les ennemis de l’humanité, les saboteurs de la science et de la pensée », avait été « l’arme préparatoire du meurtre de masse. »5

    1. 1. Continuité de l’espace idéologique

    Dans ce discours, l’activité métalinguistique d’Aragon se fait volontiers polémique (définition négative) :

    « Quand on prononce le mot culture, il faut s’entendre. La culture n’est pas le rassemblement inconditionné de toutes les activités humaines. Sous les espèces du mot culture, on groupe souvent d’étranges choses. »6

    Pourtant la gravité du ton n’exclut pas une forme de désinvolture ironique, qui peut surprendre :

    « (…) quand nous parlons de culture, nous n’en considérons pas la prédiction de l’avenir par les tarots ou la radiesthésie, comme parties intégrantes et nécessaires. »

    Sous les espèces souriantes de l’évidence, Aragon entend écarter « certaines théories à la mode » sur lesquelles les membres de l’U.N.I. risqueraient de se diviser. On songe bien sûr à l’existentialisme. En mars 1946, Sartre fait paraître L’Existentialisme est un humanisme (Nagel) auquel Jean Kanapa répondra en octobre 1947 avec L’Existentialisme n’est pas un humanisme (Editions sociales « Problèmes »). En novembre 1946, Aragon s’en prenait brièvement à « l’existentialisme jaspérien », c’est-à-dire allemand, avec son « jargon spécial. »7

    Mais surtout, il y a le « splengérisme »8 (sic) réduisant « l’histoire des hommes » à « l’histoire des cultures » qui « aujourd’hui continue à conduire certains esprits vers le fascisme. » Déjà, en novembre 1946, Aragon avait présenté Malraux comme un disciple de Spengler9. D’ailleurs, ici, immédiatement après l’évocation du spenglérisme, Aragon souligne sa distance avec Malraux quant à l’emploi du mot culture.

    A côté des éléments de continuité, du combat contre deux adversaires d’importance inégale (existentialisme, cette fois non nommé ; Malraux pré-fasciste), le tableau idéologique s’est, depuis novembre 1946, légèrement modifié avec la disparition l’univers socialiste, représenté alors, par Jean Guéhenno qui avait le tort de « préférer l’Europe aux nations. »10

    Ce métalangage polémique à propos de la culture se retrouve plus loin, au début de la partie finale du discours, lorsqu’Aragon évoque un réseau de bibliothèques à développer soulignant que cela sera un bien ou un mal selon le contenu de celles-ci :

    « Tout n’est pas la culture, le mensonge n’est pas la culture, (…). »

    En fait, ce développement introduit un catalogue des « erreurs dont l’expérience de nos groupements a montré la nocivité, » erreur qui tient à l’usage d’une « expression qui fait florès », « culture populaire », qui véhicule une opposition injustifiée entre les élites et le peuple et tend à exclure celui-ci de la (vraie) culture11.

    1. 2. Une définition lyrique

    Une fois les repères idéologiques posés, Aragon en vient à sa définition de la culture, assez lyrique et saturée axiologiquement :

    « (…) elle est sur le chemin où les hommes sont engagés dans leur combat pour le progrès et le bonheur12, un trésor de rêves et de travaux, de souvenirs et de découvertes. »

    Puis vient une précision majeure sur le rapport entre culture et territoire :

    « Cette culture a un double caractère : elle est à la fois universelle et nationale. »

    Elle est donc bipolaire :

    - universelle (« internationale ») : « dans certaines parts » comme « le domaine des mathématiques ; »

    - nationale : « le folklore. »

    Au demeurant, après avoir affirmé l’universalité de la culture, scientifique en particulier, Aragon s’empresse d’ajouter qu’il n’est pas « indifférent de rappeler que l’ogive13, que la brouette, que la physique atomique sont nées de têtes françaises. » Bien sûr, chez les Français qui ont « ce sentiment catholique14, ce sens de l’universel », il s’agit là d’une « simple reconnaissance de faits » et non de cette fâcheuse « prétention d’être les promoteurs de toutes choses valables dans le domaine de la culture, qui fut le propre des savants et des littérateurs allemands. »15

    2. « Français, oui ; Tafur, non ! » : une leçon de démocratie

    Illustrant sa volonté de tourner le regard de Paris vers les provinces, Aragon mentionne « tous ces héros locaux »16, citant successivement :

    - un poète, le cherbourgeois Jean Lecat pendu par les Anglais en 1435 ;

    - un héros de la Geste de Charlemagne, Issuré le Renégat qui a donné son nom à la rue de la Tombe Issoire ;

    - les femmes des Flandres de la guerre de Cent ans, « soldates dont l’exemple a été suivi par les femmes de notre pays pendant la Résistance ; »

    au passage, il en profite pour rappeler que « devant la loi » (…électorale) « la femme en France est l’égale de l’homme ; »

    - la « commune de Laon ; »

    - la « commune de Vézelay. »

    2. 1. La fable : une leçon de politique

    Cependant ces deux dernières mentions ne se situent pas dans le registre aimablement anecdotique (… ce à quoi un certain parisianisme réduit volontiers l’érudition locale), loin de là. Elles sont ordonnées à l’introduction d’une dimension politique forte. Tout d’abord, indique Aragon, la connaissance de la « commune de Laon » est nécessaire pour comprendre « l’histoire de notre démocratie », née… en Flandres :

    « c’est des Flandres, de cette partie aujourd’hui française des Flandres, qu’est née non pas seulement la démocratie de notre pays, mais toute la démocratie du monde, tout ce pour quoi des hommes viennent de mourir, qui étaient nos frères de combat.

    Pour saisir la fabrique du sens chez Aragon, on comparera ces deux formules :

    - « la démocratie pour laquelle tant de Français viennent de mourir »17 (28 novembre 1946) ;

    - « la démocratie (…) pour quoi des hommes18 viennent de mourir » (avril 1947).

    Discrètement, par cette substitution généralisante, le discours embraye sur l’actualité internationale, dicible (la Grèce) et indicible (Madagascar). Le 29 mars, avait débuté l’insurrection indépendantiste de Madagascar (29 mars 1947), suivie d’une répression extrêmement dure. Or le ministre de la Défense nationale était François Billoux (PCF).

    Le texte se poursuit en effet par une comparaison avec la Grèce :

    « (…) cette bataille dans laquelle, il faut bien le dire pour être juste, la réaction était représentée par le roi de France qui envoyait en Flandre des armées pour mater la démocratie, comme de nos jours, la réaction fait en Grèce contre les forces du maquis. »

    Petit à petit, les pièces du puzzle s’emboîtent : la « réaction » peut être le fait des autorités françaises, le roi de France comme le président du Conseil Paul Ramadier.

    Pour assurer une interprétation correcte, Aragon prend un second exemple, celui de la « commune de Vézelay », localité connue pour « sa très belle église », (quasi) ignorée en tant que « lieu d’une bataille pour la liberté », mais bien connue aussi parce qu’y « fut prêchée la deuxième croisade. » Par association d’idées, cela fournit l’occasion d’introduire un long développement19 (environ 10% du texte) pourtant présenté comme une « digression » sur un épisode du siège d’Antioche par Pierre L’Hermitte ; ce qui, à première vue, semble s’écarter de la culture, du XXe s. et de la démocratie.

    2. 2. Les valeurs ou l’héritage sélectif

    Or, immédiatement, Aragon souligne l’ambivalence de ces « Croisades qui sont notre patrimoine français » et comportent :

    - des « images » positives « qui montrent nos ancêtres comme des gens audacieux, animés de vertu qui ont duré, se sont transformées, qui subsistent dans notre pays ; »

    - des « images plus discutables, du point de vue de la culture. »

    De plus, quelques remarques jalonnent le parcours comme autant d’indices destinés à aider l’auditeur à y entendre autre chose qu’une simple évocation d’un épisode obscur :

    - « (…), si je vous lisais (…)20 peut-être cela éclairerait-il plusieurs choses que j’ai l’envie aujourd’hui de dire ; »

    - « Pour la compréhension, je vous dirai qu’on appelle toujours en Avignon, les voleurs, des ‘Tafurs’, et le Tafur dont il est question était le roi de la cour des Miracles. »

    Nouvel embrayage discret sur l’actualité (renforcé par l’anachronisme de certaines appellations dans un texte qui focalise sur un mot d’époque, ‘Tafur’) où Aragon manie la litote ironique :

    « A cette époque, déjà, pour les expéditions21 lointaines, on n’envoyait pas que des hommes généreux, audacieux et intelligents. On envoyait aussi la lie de la population, des bandits, des gangsters qui s’appelaient les ribauds, et ceux-ci, sous les ordres parfois de grands généraux, pouvaient, aux yeux d’autres peuples, devenir la raison d’une honte jetée sur le nom français. »

    Enfin, pointe de l’extrait lu par Aragon, l’évocation du cannibalisme des ribauds dont les Turcs avaient empêché le ravitaillement ; ceux-ci jugent donc les ribauds hors humanité et… hors nation française :

    « (…), ils sont dénaturés.

    Ce ne sont pas Français, ce sont vivants mauvais ! »22

    Comment, le cannibalisme en moins, ne pas songer aux parachutistes et aux soldats de la Légion étrangère qui, avec un fort contingent de tirailleurs sénégalais, menaient, au nom de la France, la répression à Madagascar ?

    Ces faits du passé donnent « de grands enseignements très actuels » à Aragon qui conclut à la nécessité d’accepter l’héritage national sous bénéfice d’inventaire :

    « Ce trésor (« de la culture française ») nous apprend, sur nous et sur nos traditions, beaucoup de choses bonnes et mauvaises, et ce sont les bonnes seules que nous entendons cultiver. »

    De l’épisode d’« atroce inhumanité » de la prise d’Antioche et de la « leçon implicite de Richard le Pèlerin » (les Turcs se montrent experts en humanité23), il espère que sera « retrouvée cette vraie tradition française qui, à Paris, comme en chaque point de notre pays, et au-delà des limites métropolitaines de notre pays, dans ces pays24 qui consentent librement à vivre dans l’Union française » permet de se « présenter sans rougir comme des Français et non comme des Tafurs ! »25

    Au-delà, la formule sur l’« atroce inhumanité » vient colorer a posteriori la formule sur Malraux qui n’a pas employé « ce grand mot » de « culture » « au sens humain du terme »26. Ne serait-il pas lui aussi un « Tafur », l’homme qui fut accusé d’avoir subtilisé des statues cambodgiennes ?

    La définition de l’héritage culturel comme la part du « trésor national » assumée, après inventaire, par la génération actuelle aboutit à une conception non réifiante du « trésor national » qui n’est pas sans résonance avec la formule de Malraux, le 21 juin 1936, au congrès de l’Association internationale pour la défense de la culture (Londres)  :

    « (…) l’héritage culturel n’est pas l’ensemble des œuvres que les hommes doivent respecter, mais de celles qui peuvent les aider à vivre. »27

    Cette focalisation sur la sélection nécessaire dans l’héritage tempère le point de vue intégralement national adopté en novembre 1946. Cette insistance sur les valeurs, en avril 1947, s’explique par la volonté de se dissocier d’une politique coloniale dont les pratiques rappelaient le nazisme comme l’expliquait Camus quelques jours plus tard :

    « (…) nous faisons, (…), ce que nous avons reproché aux Allemands de faire. »28

    2. 3. Un héros du présent : le mineur

    Ce panorama serait faussé si l’on omettait de rappeler que, pour Aragon, la culture, c’est aussi une galerie de héros (c’est-à-dire des incarnations de valeurs) passés mais aussi présents. Celle-ci s’est enrichie avec une nouvelle personnage29 typologique, le mineur, incarné par « la plus haute figure de cette région (Nord – Pas-de-Calais), (…) Charles Debarge », jeune résistant (né en 1919), mort après son arrestation fin septembre 1942, futur personnage des Communistes.

    Au congrès de l’U.N.I., Aragon consacre donc une part importante de son discours à préciser le contenu du mot culture, et surtout à mettre l’accent sur la composante axiologique : les valeurs et les héros qui ont fait et font la nation, une nation dont l’histoire s’obscurcit parfois d’ombres qu’il convient d’identifier et de dénoncer aujourd’hui comme hier. La nation n’est pas un héritage à assumer en bloc.

    3. Comment diffuser la culture

    Au-delà des polémiques explicites, des divergences sur la conception de la culture, les trois hommes se différencient par la manière dont ils envisagent la diffusion culturelle :

    - Aragon propose un dispositif, un mode territorial d’organisation de l’U.N.I.

    - Malraux envisage aussi un dispositif, mais différent, et se montre attentif en matière d’images à l’évolution des techniques de reproduction ;

    - logiquement en fonction de sa position, Sartre, lui, ne s’intéresse qu’à ce qu’il considère comme de « nouveaux moyens »30 à la disposition de l’écrivain pour lui permettre d’atteindre le public « virtuel »31, celui qui ne lit guère ici et maintenant.

    Très vite au début de son discours, Aragon le précise, la diffusion culturelle ne doit pas être pensée, comme on le fait habituellement, comme une circulation unidirectionnelle des idées et du savoir du centre vers la périphérie, ou encore du haut vers le bas :

    « Quand on parle de diffusion de la culture, on entend trop souvent par là une diffusion à sens unique. »

    Il conseille d’admettre un « circulation à double sens » et surtout l’existence d’une multitude de « sources » d’une culture qui se transforme localement dans une vision dialectique de l’universel et du singulier, de l’international, du national et du local :

    « L’eau de pluie, des cieux communs à toute l’humanité, sans saveur, comme abstraite, retombe sur un coin de terroir où elle se retransforme, et dont elle prend le goût. »32

    Texte important, on le verra bientôt par l’opposition de l’abstrait et du singulier concret.

    La mise en œuvre du concept de Maison de la Pensée fournit un excellent exemple de décentralisation bien comprise. Grâce à « l’union des forces patriotiques de l’esprit, »33 il y en eut de prototypes à Toulouse et à Lyon, à Marseille et à Saint-Etienne, avant l’ouverture de celle de Paris fin avril 1947.

    3. 1. Des dispositifs culturels

    Dans ces années de l’après-guerre, la question de la diffusion culturelle oriente bien des réflexions et des actions dans deux domaines connexes mais distincts, l’enseignement et la formation des adultes. Qu’il suffise de rappeler que, créée en novembre 1944, et présidée d'abord par le physicien Paul Langevin, puis par le philosophe et psychologue Henri Wallon (1879-1962) la Commission ministérielle d'études pour la réforme de l'enseignement rendit, en juillet 1947, un rapport dit « plan Langevin-Wallon », redéfinissant l’école républicaine et posant le principe d'une éducation populaire accessible tout au long de la vie.

    Organisations intellectuelles et écrivains rivalisent pour imaginer les moyens les plus efficaces pour rendre la culture accessible au plus large public. De même au niveau international, les Etats considèrent la pénétration culturelle comme un élément important de leur stratégie d’influence, tandis que l’UNESCO tente de substituer la coopération à la concurrence.

    3. 1. 1. Le maillage territorial de l’U.N.I.

    Relevant de l’initiative d’un mouvement, le projet de l’U.N.I. est, bien sûr et pour cause, modeste même s’il se veut ambitieux. D’ailleurs l’intérêt majeur du discours d’Aragon réside moins dans les propositions concrètes que dans la philosophie sous-jacente à certaines de ses remarques.

    Un dispositif centré sur le « bourg »

    Pour Aragon, c’est dans la France rurale qu’il faut diffuser la culture ; en priorité, parce que, là, il n’y a rien ou presque :

    « (…), il faut porter la culture dans les bourgs, dans les cantons. »

    L’emploi du mot « bourg » a éveillé, relève-t-il, « un intérêt qui ne trompe point, »34 ce que souligne la reprise, un peu plus loin, de la même idée :

    « Je répète que le mot ‘bourg’, qui depuis hier mène les esprits (et j’en prends à témoin M. le procureur général Mornet, que je vois acquiescer de sa place), je répète que ce mot marque le caractère essentiel du travail qui est devant nous. »35

    La mention d’André Mornet peut surprendre, mais tient sans doute à l’histoire familiale de ce haut magistrat. Né en à La Châtre en 1870, ayant perdu son père deux ans plus tard, il passa son enfance chez son grand-père menuisier à Levroux et aimait à en évoquer le souvenir :

    « (…) c’est dans son atelier, au mur orné d’un portrait de Cabet, où se rencontraient des vétérans de 1848, même de 1830, rêvant du bonheur futur de l’humanité, qu’il reçut ses premières impression. »36

    … à moins qu’elle ne soit destinée à réveiller l’attention d’un personnage connu pour ses assoupissements passagers (ce qui ne serait pas incompatible avec l’hypothèse précédente).

    Pour l’organisation territoriale de l’UNI, Aragon s’inspire des « comités sanitaires cantonaux qui ont été à la base de l’organisation du service sanitaire de tous les maquis de France », comités dont il avait « lancé dans la zone sud le mot d’ordre. » Ces comités réunissaient « les pharmaciens, les médecins, les instituteurs, leurs femmes, les prêtres, la sage-femme, le notaire aussi bien tous ceux-là qui voulaient aider le maquis. » Union des diverses catégories sociales (d’encadrement), ces comités constituaient un « embryon de la vie intellectuelle, qui alors s’identifiait avec la vie du patriotisme »37, mais avaient déjà quasi disparu.

    Le pilier du dispositif est, selon l’idée émise par Jean-Richard Bloch dans un article posthume d’Europe (avril 1947), une « bibliothèque circulante38 » au niveau du canton, c’est-à-dire une mutualisation des ressources :

    « (…) ; autour de cette bibliothèque quelques hommes, s’unissant, pourront ce qu’ils ne peuvent pas séparément réaliser, lire ce qui paraît et le faire lire autour d’eux, s’abonner collectivement à des revues, qu’ils ne pourraient toutes se procurer, et ainsi, ces hommes et ces femmes ne se trouveront plus isolés du mouvement intellectuel qui se fait à Paris, ils y participeront directement. »39

    Le « directement » peut étonner car il semble méconnaître la dimension spécifique de la médiat(isa)tion, ses contraintes. Mais, précisément, on le verra, Aragon entend combattre une vision unidirectionnelle, descendante et condescendante, de la vie culturelle.

    Même si priorité est donnée à l’imprimé (revue, livre), d’autres éléments d’animation de la vie culturelle du petit territoire sont envisagés à titre d’hypothèse pour les « étapes suivantes de ce développement », comme le cinéma et/ou le théâtre (par ordre de difficulté croissante en termes de ressources humaines et économiques) :

    « A côté de la bibliothèque, le club, le ciné-club, quand c’est possible ou le groupe théâtral, les conférences40… »41

    Organiser une communication ascendante

    Face aux thèses de Malraux, de Sartre, ou encore de l’UNESCO, l’originalité d’Aragon réside, en effet, dans son souci de ne pas limiter le regard à la diffusion des produits culturels (communication descendante) et de considérer qu’il peut, qu’il doit y avoir une communication ascendante du savoir et des idées. En d’autres termes, le savoir, la culture ne sont pas produits seulement à Paris mais aussi en province, pas seulement dans les villes mais aussi dans les villages :

    « Diffuser la culture, c’est sans doute lui permettre d’aller des hommes qui la font et dont beaucoup en France vivent à Paris – parce qu’ici sont les grandes écoles, les laboratoires, les musées les plus vastes de notre pays – des hommes qui la font, disais-je, à l’ensemble des hommes et des femmes ; mais c’est aussi discerner ses sources à tous les points du territoire d’où peut jaillir une pensée, et en faciliter l’éclosion. »42

    Tout à sa volonté d’animation du territoire, Aragon souligne que l’asymétrie Paris-province se redouble d’autres asymétries en province : grande ville – petite ville, ville – communes rurales :

    « (…) rien n’est dangereux pour le mouvement de l’esprit comme cette tyrannie de préfecture et de sous-préfecture qui singe la grande tyrannie parisienne, et méprise les bourgades, les cantons. »43

    La figure emblématique de cette préoccupation est l’entomologiste Jean-Henri Fabre44. Aragon donne plusieurs autres exemples de la dynamique de la sociabilité littéraire et culturelle provinciale :

    - la découverte d’une nappe phréatique dans le Vaucluse par « un médecin, avec quelques hommes du maquis ; »

    - un nouveau félibrige dans le nord de la Drôme, issu du « mouvement de Libération nationale », donc loin de celui « de l’autre siècle, accaparé par les hommes de la réaction, par les hommes de l’Action française ; »

    - un autre félibrige dans le Dauphiné qu’il considère avec une certaine hauteur :

    « un félibrige (…) qui, même si les poètes qui le composent ne sont pas de très grands poètes, appelle et réunit les hommes de cette région sur le trésor historique de cette contrée. »45

    La formule traduit bien, au demeurant, la tension constitutive de toute démarche de diffusion des pratiques de production culturelles entre l’évaluation de la production (selon des normes universelles) et l’appréciation portée sur le lien social créé et l’enrichissement culturel d’hommes qui lisent mieux parce qu’ils ont découvert l’écriture.

    Une revue de type nouveau

    « (…) il faut organiser aussi le mouvement ascendant de la culture, des plus petits centres vers les plus grands. »46

    Pour atteindre cet objectif, Aragon propose de lancer une revue de type nouveau qui se substituerait au bulletin de l’U.N.I. réalisé grâce au « dévouement modeste d’Armand Monjo47. »48 Sur le plan économique, ce serait une « revue à bon marché » (20 F.) sur « papier journal » au riche contenu :

    - deux ou trois « articles qui porteront sur les thèmes de discussion essentiels » où sera acceptée « une certaine diversité d’opinion » entre « les forces françaises » afin de « trouver le terrain commun dans la voie du progrès et du bonheur français ; »

    - « un petite nouvelle » ;

    - « un poème » ;

    - une « partie informative. »

    Au lieu de fournir « tous les sommaires des revues qui paraissent », la revue sera « un peu plus critique » que le bulletin, selon deux modalités. Tout d’abord, elle fera un travail de sélection et de hiérarchisation des contenus des autres revues pour « mettre l’accent » « sur les articles qui aident au travail de la nation française vers le mieux être et le mieux faire. » Ensuite, elle comportera une « partie critique » où l’on « dénonce(ra) les fausses manœuvres », où l’on « crie(ra) casse-cou à des gens quelquefois fort bien intentionnés. »

    Une telle revue devrait servir à animer un « réseau de clubs où la vie intellectuelle puisse se développer non comme dans des écoles, mais d’une façon organique, suivant la loi des êtres vivants. »49

    Contre la « bureaucratie de la culture populaire »

    Au début de la seconde partie de sa conférence, Aragon dénonce les dérives qui se produisent sous le drapeau de la « culture populaire, » tant du côté de l’Etat que du côté des organisations satellites du PCF.

    Sous le couvert de la « culture populaire », « conception qui découle de l’utopie ancienne des Universités populaires », se développe « une bureaucratie qui s’est surajoutée à celle de la troisième République, à celle de Pétain », bureaucratie à la philosophie erronée puisqu’« elle a la prétention de porter de haut la culture jusque dans chaque canton. » Et, selon les meilleures traditions, « on a commencé à créer, entre autres, des inspecteurs de cette culture inexistante. » Aragon s’indigne non d’un gaspillage des deniers publics, mais d’une volonté d’encadrement de la jeunesse par l’Etat, qu’il juge une machine de guerre contre les organisations de jeunesse du PCF :

    « Cet appareil (…), qui tend notamment à mettre les loisirs aux mains de l’Etat, contre leurs organisations politiques, est un appareil préfasciste, c’est un appareil qui tend à faire de la culture une chose dirigée. »

    Il en profite donc pour retourner à ses adversaires, en l’occurrence l’hebdomadaire gaulliste Carrefour, l’étiquette de « culture dirigée » qu’on lui objectait fréquemment ; et dire son hostilité à « la direction étatique de la culture. »50

    Aragon entend réserver « l’éducation des ‘larges masses’ comme on dit » aux « agents naturels51 de la diffusion de la culture », aux instituteurs. De même, il s’offusque le « représentant du cercle culturel d’une grande usine » demandant aux intellectuels de se « pencher sur ses camarades. » Et il met en avant deux points :

    - sans base économique, sans production, pas de culture ;

    - les intellectuels sont :

    - « les détenteurs tous passagers » de la culture ;

    - « dépositaires responsables devant nos semblables.52 »

    Enfin il stigmatise une dérive philosophico-idéologique, l’enseignement du marxisme dans le cadre de l’U.N.I. pour deux raisons :

    1° On serait en droit de reprocher à « nos camarades catholiques nombreux dans nos organisations » de vouloir enseigner la religion ; donc de ce point de vue, une forme de neutralité est une condition du compagnonnage.

    2° Le marxisme étant une « science de l’action », il est contraire à son esprit de favoriser un enseignement abstrait53 à des non-marxistes du marxisme en dehors de toute action. »

    D’où la conclusion :

    « Au didactisme qui est un très grand danger pour notre activité, il faut opposer des méthodes qui lient la vie à l’action de nos organisations. »54

    Et de dénoncer un double écueil en matière artistique :

    - intellectualisme : « essayer d’amener le peuple à l’art » en lui présentant « comme absolument indispensables à son éducation artistique les formes d’art que le peuple (…) ne comprend pas ; »

     - ouvriérisme : estimer qu’« un peintre doit naître parmi les ouvriers »55 (Bulletin de l’Association populaire des amis des musées)

    Contre les vedettes

    L’évocation des modalités de fonctionnement du dispositif manifeste un souci d’animer la vie culturelle du territoire local (canton, département) sur la base d’une logique de la proximité qui joue à la fois pour les conférenciers et pour les sujets traités.

    Les conférenciers seront les producteurs et/ou acteurs locaux du savoir56, ces « soldats de l’esprit », qui, historiens locaux ou scientifiques, parleront aussi de leur territoire à ses habitants concernés par leurs recherches (appliquées plutôt que fondamentales) :

    « Pourquoi les géologues qui étudient les terrains d’une région, ne parleraient-ils pas d’abord de leurs découvertes à ceux dont ces découvertes risquent de bouleverser directement les conditions de vie ? »

    Bénéfice secondaire, cela permettra d’invalider un adage venu de l’Evangile de Luc (4,24) :

    « Il n’est pas vrai que nul n’est prophète en son pays. On accepte un peu trop facilement cette vieille et fausse vérité. Il n’est pas vrai que nul n’y est prophète, et je sais ce que je dis… »

    Là encore, on rencontre une attitude très caractéristique de l’écrivain, la confidence suggérée mais retenue (à quelle occasion ? en quoi ?). En l’occurrence, elle contribue à qualifier positivement l’orateur et à suggérer une nouvelle vérité plus stimulante pour le développement culturel local.

    En cohérence avec cette logique de proximité, Aragon déconseille avec force et ironie l’invitation de conférenciers célèbres :

    « On fait venir Un Tel pour parler à Lyon ou à Rouen devant des banquettes ; et, à Lyon ou à Rouen, les braves gens en pleine utopie qui ont entendu le salut que leur a apporté Un Tel mangent de l’argent pour organiser ce désastre et ne recommencent plus ! »

    Pour justifier sa position, il insiste sur la nécessité de créer un public local, « des hommes et des femmes qui ont leur vie intellectuelle à eux », c’est-à-dire d’élever le niveau culturel local de telle sorte que des attentes existent sur des sujets ne pouvant alors effectivement être traités que par des conférenciers de renom :

    « Qu’il s’agisse de poésie ou de sciences, de théâtre ou d’art, il ne faut envoyer des conférenciers, des spectacles ou des expositions que là où il y a des gens qui ont la curiosité, la passion de la vie intellectuelle à eux. »57

    Aragon profite en effet de sa tribune à l’U.N.I. pour conseiller les acteurs de l’éducation populaire et distribuer les blâmes plus que les bons points. L’association « Travail et culture » fait ainsi l’objet d’une mise au point publique qui achève un processus de régulation déjà commencé à huis clos. Au crédit de l’association, sont portés deux éléments :

    - l’organisation pour une soirée du congrès de l’U.N.I. du premier court métrage (7 minutes 38 secondes) d’André Michel (1910-1989), La Rose et le Réséda, « dont je suis innocent, mais que j’ai été heureux d’applaudir ; »

    - « l’art précieux de mobiliser de grands auditoires. »

    Au débit, plusieurs erreurs (politiques) d’appréciation dont le fait d’avoir invité Georges Bernanos, pourtant déjà dénoncé par Aragon, en novembre 1946, pour un discours « dirigé contre la démocratie pour laquelle tant de Français viennent de mourir »58 et son racisme anti-slave :

    « Travail et Culture a eu tort, lorsqu’il a appelé, par exemple, pour parler à la Sorbonne59, un homme comme Bernanos, ennemi de la démocratie, du progrès scientifique, et en fait de l’indépendance nationale. Je le dis avec quelque vérité, sachant d’ailleurs que la direction du T.E.C. a compris cela et approuve ce que je dis. »60

    La critique publique suit l’autocritique.

    Contre l’envahisseur littéraire

    Enfin Aragon dénonce une « propagande effrénée » en faveur d’une littérature anglo-saxonne de nature à ruiner tous les efforts de diffusion de la culture en France. Quelques auteurs sont cités : Henry MiIler, Faulkner, Erskine Caldwell.

    Face à cette invasion, les Français sont en droit de réagir :

    « Nous sommes pris ici entre notre sens de l’universel et notre instinct de conservation. »

    D’autant plus que l’on a à affronter « un puissant impérialisme, (…) un nationalisme actif, lui, qui, dans le domaine de la littérature, comme dans celui du cinéma ou du pétrole, comme dans celui aussi de l’achat des consciences, fait chaque jour de grands pas en avant. »61

    Une « mobilisation » générale

    Alors qu’il s’agit de « refaire et de continuer la France, « mobilisation » est le maître mot pour Aragon qui avait déjà utilisé une métaphore militaire présentant les producteurs locaux de savoir de « soldats de l’esprit » ; mot qui prête à contresens, comme il se voit obligé de le préciser :

    « C’est vraiment de la France qu’il s’agit. C’est bien pour elle que nous sommes ici mobilisés : ce verbe, je l’emprunte à la remarquable intervention de Maître Bayle parlant tout à l’heure au nom de l’U.N.I. de Bordeaux. Le terme de mobilisation, il faut pourtant bien le comprendre. Je ne pense pas que nous demandions à M. Henry Malherbe, directeur de l’Opéra-Comique, d’aller de ses mains porter des pierres d’un endroit à l’autre, dans une brigade de la reconstruction. Nous sommes mobilisés dans notre spécialité. »62

    Il est significatif du contexte de 1947 qu’Aragon se sente obligé de réagir contre une interprétation63 (anticommuniste ? ouvriériste ?) où la « mobilisation » des intellectuels serait le masque d’une rééducation par le travail manuel.

    3. 1. 2. Les maisons de la culture

    L’idée de créer des maisons de la culture remonte à la période du Front populaire ; elle fut élaborée par un petit groupe (dont A. Malraux) autour de Léo Lagrange, sous-secrétaire d’Etat aux Sports et à l’organisation des Loisirs dans le gouvernement (4 juin 1936 – 22 juin 1937) de Léon Blum. L’objectif était de lever les obstacles à l’accès à la culture : géographique (présence sur tout le territoire) ; économique (gratuité).

    Le 29 décembre 1945, devant l’Assemblée constituante, Malraux, alors ministre de l’Information, avait repris l’idée d’un maillage culturel du territoire ; sans doute une Maison de la culture par département, le musée local servant de base à la maison de la culture :

    « En application d'un programme très ancien puisqu'il avait été établi jadis en commun avec Léo Lagrange, nous voulons que dans chaque grande ville de province le musée, entièrement transformé dans des conditions qu'il serait trop long de développer ici, devienne une maison de la culture de base. »

    L’économie du projet repose sur une extension du dépôt légal afin d’éviter à l’Etat des dépenses d’acquisition des biens culturels devant permettre de constituer les fonds des Maisons de la culture :

    « Par la transformation complète de la législation sur le dépôt légal, (…), nous désirons que, dans chaque musée de province, la totalité des livres, des films et des disques ayant une valeur culturelle soient d'office donnés par la production privée et forment la base d'un élément culturel qui se répandra à travers la France en même temps que les centres de documentation placés sur un plan purement technique en permettront la même diffusion. »64

    Surtout, lors de l’hommage à Léo Lagrange, à la salle Pleyel, le 9 juin 1945, il avait indiqué l’une des caractéristiques les plus fortes du projet, la gratuité pour l’usager :

    « (…) que l’on pût trouver dans n’importe quelle ville de province d’excellentes reproductions des chefs-d’œuvre que l’on pût voir sans payer ; que l’on pût trouver des disques que l’on pût écouter sans payer ; que l’on pût lire des livres de valeur sans payer » ; soit « l’ancien système des bibliothèques municipale » étendu à « la totalité des œuvres humaines » en associant « la France tout entière à cette volonté de culture. »65

    Au cœur du projet se trouvent des reproductions (livres, disques,…), notion centrale pour Malraux, qui a connu le texte capital de Walter Benjamin (1892-1940), L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (1935) (voir infra).

    Requisit de la démocratie pour le ministre, le projet repose sur la conception d’un droit66 universel de l’homme à la culture :

    « (…) démocratie ne veut pas dire autre chose que la volonté d'un nombre toujours plus grand d'hommes d'accéder à la culture.

    Il ne dépend de personne de faire de tous des hommes cultivés ; mais il dépend de chacun de nous de donner à chaque Français une sorte de droit privilégié d'atteindre à la culture s'il le désire. »

    Quelques mois plus tôt, le 9 juin 1945, lors de hommage à Léo Lagrange, à la salle Pleyel, A. Malraux avait indiqué leur conception partagée de l’action de l’Etat en précisant que la démarche reposait non sur une logique de l’offre (universelle) mais sur une problématique de satisfaction de la demande67 (individuelle) :

    « Il (Léo Lagrange) eût voulu une action de l’Etat par laquelle le chef-d’œuvre, appartenant à l’humanité, fût mis non pas à la disposition de tous, ce qui n’a aucun sens, mais à la disposition de quiconque (et quelle que fût son origine ou sa pauvreté) désirerait le connaître. »68

    3. 2. Les moyens techniques

    Dans les textes que nous avons parcourus, n’existe pas d’attestation de la réflexion sur les moyens techniques de communication auxquels, selon des orientations diverses, s’intéressent Malraux, de façon globale, et Sartre de manière plus analytique. Le but principal de cette rapide présentation est de pointer le fait qu’en France, ce n’est qu’avec un certain retard par rapport aux pays anglo-saxons qu’on a pensé comme relevant de la même catégorie certaines techniques jusque-là examinées isolément.

     

    3. 2. 1. Malraux et la métaphore de l’imprimerie

    En matière de diffusion culturelle, Malraux soulignait, en juin 1945, la conjonction causale entre le politique (« démocratie ») et la technologie (« les découvertes techniques ») :

    « (…) par la démocratie d’une part, et de plus par les découvertes techniques comme le cinéma et le phonographe succédant à l’imprimerie, la culture qu’on le veuille ou non, devient l’apanage inévitable d’un nombre toujours de plus en plus grand d’hommes. »69

    En 1946, Malraux utilise la métaphore de l’imprimerie sans d’ailleurs préciser la technique à laquelle il songe70 :

    « (…) le musée imaginaire. C’est l’ensemble des connaissances que nous apportent, outre les musées, les reproductions et les albums : au début du XXe siècle, les arts plastiques ont inventé leur imprimerie. »71

    La métaphore était déjà employée dans l’article de Commune (septembre 1936) sur « L’héritage culturel. » Analysant l’offre adressée aux hommes qui ont du « temps vide », Malraux établit un constat à la fois social, culturel et économique. Les techniques modernes métamorphosent l’art car elles autorisent une reproduction qui n’est pas affadissement ou dénaturation. Non seulement, elles l’autorisent, mais elles l’appellent. Pour définir cette évolution, Malraux utilise la métaphore de l’imprimerie :

    « Depuis trente ans, chaque art a inventé son imprimerie : radio, cinéma, photographie. Le destin de l’art va du chef-d’œuvre unique, irremplaçable, souillé par sa reproduction, non seulement au chef-d’œuvre reproduit, mais à l’œuvre faite pour sa reproduction à tel point que son original n’existe plus : le film. »72

    Le bouleversement est donc radical, puisque ce qui faisait la valeur (économique) de l’œuvre s’évanouit : la distinction entre l’original et la copie.

    3. 2. 2. De nouveaux moyens : les « mass media »

    Sartre, lui, n’envisage que les moyens techniques à la disposition de l’écrivain ces « mass media » évoqués dans la version anglaise de l’ouvrage du biologiste Julian Huxley (1887-1975), secrétaire général provisoire et bientôt premier directeur général de l’organisation L’UNESCO, ses buts et sa philosophie (1946).

    Dans ce livre qui fit polémique quant à son statut73, Huxley indique quels sont les objets ainsi catégorisés, radio, cinéma, presse populaire (d’où le possible embrayage : vs. élites)

     

    « (…) the media of mass communication – the somewhat cumbrous (lourd) title (commonly abreviated to « Mass Media ») proposed for agencies (moyens), such as the radio, the cinema and the popular press, which are capable of the mass dissemination of word or image »74

    « au moyen des Organes d’Information des Masses, titre assez long et malaisé (généralement abrégé en ‘Information des Masses’) qui a été proposé pour les moyens, tels que la radio, le cinéma et la presse populaire qui peuvent servir à diffuser le mot ou l’image parmi les masses »75

    Au passage, on notera que la traduction française n’adopte pas, même avec des guillemets, l’expression anglo-saxonne. Sartre sera sans doute le premier à le faire dans « Situation de l’écrivain en 1947 » où il parle d’abord de « nouveaux moyens »76 qui permettent d’atteindre l’ouvrier de 1947 :

    « (…) nous connaissons déjà les moyens de l’atteindre : il faut, je le montrerai plus loin, conquérir les ‘mass media’ et ce n’est pas si difficile. »77

    Curieusement, il faut attendre une dizaine de pages pour que Sartre précise et l’origine nord-américaine de ce singulier néologisme et les objets ainsi catégorisés :

    « (…) ils (les « nouveaux moyens ») existent déjà ; déjà les Américains les ont décorés du nom de ‘mass media’ ; ce sont les vraies ressources dont nous disposons pour conquérir le public virtuel : journal, radio, cinéma. »7

    Sans développer ce dernier point, on se bornera à indiquer combien Sartre ici se montre novateur en introduisant dans la langue française et dans le débat intellectuel le thème porteur de la communication de masse79.

    Enfin, on soulignera la différence entre, d’un côté, Aragon et Malraux, préoccupés d’action, imaginant donc des dispositifs et, de l’autre, Sartre qui se situe sur le plan des modes d’action, symbolique, de l’écrivain.

    Conclusion

    Dans ce texte solidement construit, Aragon réussit à adopter la posture d’improvisateur, comme le suggèrent quelques traits :

    - la mention du procureur général Mornet qui semble liée à un hochement de tête approbatif (mais sa présence était hautement prévisible) ;

    - l’usage du terme « mobilisés », justifié comme une réfutation d’un précédent orateur.

    A comparer les types de discours d’Aragon, Malraux et Sartre, on saisit mieux ce qui distingue la manière d’Aragon, à savoir un discours de circonstance caractérisé par :

    - une attitude polémique constante ;

    - une référence explicite et/ou allusive à la conjoncture politique nationale et internationale ;

    - un recours à des évaluations moralisantes ;

    bref, tout ce qui éloigne de la posture de l’intellectuel qui généralise et se tient à distance du moment présent sauf lorsqu’il se mobilise pour une « cause ».

    En même temps, l’une des originalités les plus fortes d’Aragon réside sans doute dans sa capacité à traiter de l’actualité politique sous le masque d’une chronique du Moyen Âge rapportant un obscur épisode des croisades, à s’autoriser ainsi à porter les accusations les plus rudes contre les troupes françaises alors que son parti est encore au gouvernement.

    Sur le fond, son discours comporte un double message :

    - culturel et direct : sur l’organisation de la vie intellectuelle en France ;

    - politique et (pour partie) allusif : essentiellement anti-gaulliste et subsidiairement anti-gouvernemental.

    En cette période de naissance du RPF80 (14 avril 1947), Aragon installe l’équivalence gaulliste / fasciste par des attaques contre des écrivains comme Malraux ou Léon-Paul Fargue, qui écrivait dans « Combats, avec un S, journal de la Milice » et, ayant bénéficié de l’indulgence du CNE (et d’Aragon), eut l’audace de « dénoncer (en 1947) le danger de la politique pour les intellectuels » et de reprendre, ajoute une note81, « la phraséologie du général de Gaulle qui oppose la France et les Partis. »

    Dans le domaine culturel, Aragon prend une posture d’autorité pour :

    - dénoncer et condamner des erreurs d’appréciation et des comportements erronés ;

    - prescrire une organisation territoriale innovante qui garantisse l’émergence d’une authentique vie culturelle jusque dans le plus petit canton de France.

    Son insistance pour développer des réseaux culturels de proximité (vs. les appareils de diffusion) constitue une intuition forte, qui résonne dans l’actualité de 2012.

     

    Bibliographie

    Aragon :

    - « La Culture des masses (ou le titre refusé) », Oeuvre poétique (1946-1952), Livre Club Diderot, 1980, T. XI , p. 41-64

    - « La Culture et sa diffusion », Oeuvre poétique (1946-1952), Livre Club Diderot, 1980, T. XI , p. 65-88

    Albert Camus, « La contagion » (Combat, 10 mai 1947) », Actuelles, in Œuvres complètes, Gallimard « Bibliothèque de la Pléiade », T. II, p. 430.

    André Malraux :

    - « Sur l’héritage culturel », Ecrits sur l’art I (ed. Jean-Yves Tadié et al.), Gallimard « Bibliothèque de la Pléiade », 2004,, p. 1191-1199

    - « Hommage à Léo Lagrange » (1945), Essais (Jean-Yves Tadié dir.), Gallimard « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, p. 332-335

    - « L’Homme et la Culture artistique » (1946), Ecrits sur l’art I, p. 1201-1218.

    - « Discours d’inauguration de la maison de la culture de Grenoble » (3 février 1968), Essais (ed. Jean-Yves Tadié et al.) , Gallimard « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, p. 505-51

    Jean-Paul Sartre :

    - « Présentation des Temps modernes », Situations II (Qu’est-ce que la littérature ?), Gallimard, 1948, p. 9-30

    - « La nationalisation de la littérature » (1945), Situations II, p. 31-53

    - « La Responsabilité de l’écrivain », in Horizons philosophiques à l’origine de l’UNESCO / Visions for UNESCO in its early years, UNESCO « Division de la philosophie et de l’éthique », 1996, p. 29-51

    - « Qu’est-ce que la littérature ? », Situations II (Qu’est-ce que la littérature ?), Gallimard, 1948, p. 55-330

    1 « L’exemple de Zola » (discours de Médan, 1946) et « Adieu à Jean-Richard Bloch », déjà publié dans Europe (mai 1947).

    2 « (…) la nôtre (génération), qui a commencé d’écrire après la défaite ou peu avant la guerre » (J.-P. Sartre, « Situation de l’écrivain en 1947 », p. 235). Ce « nous » inclut aussi Malraux (ibid., n 9, p. 326-327).

    3 « La Tribune des Temps modernes » (octobre-décembre 1947), très rapidement supprimée (voir Simone de Beauvoir, La Force des choses (1963) I, Gallimard « Folio », 2008, p. 193-195).

    4 Jean-Paul Sartre, « Présentation des Temps modernes », p. 13.

    5 Aragon, « La Culture des masses ou le titre refusé », p. 42

    6 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 65.

    7 Aragon, « La Culture des masses ou le titre refusé », p. 53-54.

    8 Sans doute une coquille pour « spenglérisme. »

    9 Ibid., p. 49.

    10 Ibid., p. 57-58.

    11 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 80-81.

    12 La formule est répétée une seconde fois à la fin de la phrase.

    13 Alors que « l’art dit ‘gothique’, à la faveur même de ce mot, avait été pendant un siècle au moins accaparé par nos voisins d’outre-Rhin. »

    14 Héritage « peut-être (…) de l’époque où notre pays était fier de s’appeler ‘la fille aînée de l’Eglise’. »

    15 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 65-67.

    16 Ibid., p. 69.

    17 Aragon, « La Culture des masses (ou le titre refusé) », p. 56.

    18 C’est nous qui soulignons en gras.

    19 Une moitié consiste en une lecture d’un fragment de la Chanson d’Antioche (XIIe s.) du pèlerin Richard.

    20 La parenthèse représente 6 lignes.

    21 Au sens (1500) d’ « opération militaire exécutée au loin » (Alain Rey dir., Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1992, T. I, p. 763. « Armée expéditionnaire » (1829). Pour l’Indochine, on parlait encore de « corps expéditionnaire. »

    22 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 71-72.

    23 Un peu plus loin, Aragon note : « (…), dans le texte même de Richard le Pèlerin (…) ce sont précisément les Turcs qui donnent la leçon d’humanité et de culture, et non ces Français dont les Turcs disent eux-mêmes que ce ne sont pas des Français » (Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 73).

    24 Là, « les vraies valeurs françaises » se « joignent aux valeurs autochtones de ces pays » (ibid.).

    25 Ibid., p. 72-73.

    26 Ibid., p. 66.

    27 A. Malraux, « Sur l’héritage culturel », p. 1192. Aussi : « L’héritage ne se transmet pas, il se conquiert » (ibid., p. 1198). Et plus tard : « (…), la culture n’est pas une accumulation des valeurs du passé, elle en est l’héritage conquis » (« Discours d’inauguration de la maison de la culture de Grenoble » (3 février 1968), p. 511).

    28 Albert Camus, « La contagion » (Combat, 10 mai 1947) », Actuelles, in Œuvres complètes, T. II, p. 430.

    29 « Exemple moral » et « valeur d’exaltation humaine ».

    30 J.-P. Sartre, « Situation de l’écrivain en 1947 », p. 269.

    31 Voir ibid., p. 290.

    32 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 67.

    33 Ibid., p. 68.

    34 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 74.

    35 Et aussi : (ibid., p. 77-78).

    36 Gaston Albucher, « Discours à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, 2 octobre 1956. »

    37 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 74-75.

    38 « Bibliothèque dont les livres passent aux divers abonnés » (Le Trésor de la Langue Française informatisé).

    39 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 75-76.

    40 Retrouver l’esprit de ces conférences faites au XIXe siècle par l’instituteur (voir, par exemple, Alain Corbin, Les Conférences de Morterolles, hiver 1895-1896 (A L’écoute d’un monde disparu), Flammarion, 2011).

    41 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 76.

    42 Ibid., p. 68.

    43 Ibid., p. 74.

    44 Ibid., p. 73.

    45 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 68-69.

    46 Ibid., p. 77.

    47 Aussi poète, A. Monjo (1919-1998) sera agrégé d’Italien, puis professeur à Paris III.

    48 Ibid., p. 78.

    49 Ibid., p. 78-79.

    50 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 81.

    51 L’usage stéréotypé, en la matière, de la rhétorique de la naturalisation, est particulièrement savoureux.

    52 Ibid., p. 82.

    53 La formule est répétée ensuite : « Non, pas d’enseignement abstrait, mais une vie concrète de l’esprit » (ibid., p. 84).

    54 Ibid., p. 83.

    55 Ibid., p. 84.

    56 « (…) des hommes qui pensent, qui étudient, qui découvrent (…) des hommes qui étudient l’histoire oubliée de ce coin du pays. »

    57 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 76-77

    58 Aragon, « La Culture des masses (ou le titre refusé) », p. 56.

    59 Conférence sur « Révolution et liberté » (7 février 1947), recueillie dans La Liberté pour quoi faire ? (1953). Bernanos dénonce une « civilisation totalitaire et concentrationnaire ».

    60 Aragon, « La Culture et sa diffusion », p. 87.

    61 Aragon, « La culture et sa diffusion », p. 86

    62 Ibid., p. 87.

    63 Les deux hypothèses peuvent coexister ; trancher implique une vaste enquête sur ce thème.

    64 A. Malraux, Discours à l’Assemblée constituante, 29 décembre 1945.

    65 A. Malraux, « Hommage à Léo Lagrange » (1945), p. 334.

    66 L’article 25 de la Déclaration des droits de l’homme de 1946 stipule : « La culture la plus large doit être offerte à tous sans autre limitation que les aptitudes de chacun. »

    67 Vingt ans plus tard, Malraux utilisera la formule de « la culture pour chacun » (« Présentation du budget de la Culture », Assemblée nationale, 27 octobre 1966).

    68 A. Malraux, « Hommage à Léo Lagrange » (1945), p. 334.

    69 A. Malraux, « Hommage à Léo Lagrange » (1945), p. 334.

    70 Sans doute la photographie si on se réfère à W. Benjamin.

    71 A. Malraux, « L’Homme et la Culture artistique » (1946), Ecrits sur l’art I, p. 1206.

    72 A. Malraux, « Sur l’héritage culturel », Ecrits sur l’art I, p. 1193-1194.

    73 Point de vue personnel ou prise de position officieuse puisque sans mandat.

    74 J. Huxley, UNESCO Its Purpose and its Philosophy, p. 58

    75 J. Huxley, L’UNESCO, ses buts et sa philosophie, p. 66.

    76 J.-P. Sartre, « Situation de l’écrivain en 1947 », p. 269.

    77 Ibid., p. 277.

    78 Ibid., p. 290.

    79 En 1960, au sein de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, est créé un Centre d’Etudes des Communications de Masse (CECMAS).

    80 Allusion au général de Gaulle à propos de « la question fondamentale de l’indépendance de notre pays. 

    81 Cette disposition de mise en page ne permet pas de savoir si le contenu de la note a été prononcé le 27 avril ou s’il s’agit d’un ajout en vue de l’édition. Cette note semble justifier le développement sur Fargue qui s’insère mal dans la structure du discours.


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