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    Lot 81
    [Aragon] François La Colère, pseud. Parlons Français, manuscrit
    Manuscrit autographe signé "François la Colère", s.d. [1944?]. 1 p. 1/5 sur 2 ff. A4. Encre bleue sur papier, ratures. Virulent article publié sous le pseudonyme de François la Colère (pris par Aragon entré en résistance) dans le quotidien "Ce Soir" dont il était directeur (8e année, n° 1016, mercredi 20 décembre 1944). Revue fondée en 1937 pour dénoncer la guerre d'Espagne, dirigé par Aragon et Bloch, interdit en 1939, repris en 1944.
    Aragon s'élève contre la censure, et persiste à dire qu'il aurait fallu dénoncer la Cagoule, Hitler et leurs complices dans le gouvernement. Et même si on lui assène à chaque fois que "toute vérité n'est pas bonne à dire", il persiste : "la vérité est bonne à dire au peuple de la liberté et de la vigilance", "toute vérité est bonne à dire aux Français, qui ont su se lébérer eux-même, - Qu'ils ont le droit d'être informés sur les dangers qui les menacent, - Que s'esils avaient connu les "maquis bruns" de l'avanty-guerre, le maquis de l'Etat-major avec Pétain, ..., Brasillach, nous n'aurions pas eu la catastrophe de Juin 40. Que la censure, établie fin août 39, a permis l'entrée à l'Information de M. Drieu la Rochelle... Nous observons très attentivement la nature des coups de ciseaux [la Censure] par eux imposés..."
    Source: http://www.artcurial.com/fr/asp/fullCatalogue.asp?salelot=1283++++++81+&refno=10224291

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    Lettres d'Aragon (manuscrits inédits) par Daniel BougnouxNous reprenons ici, avec l'autorisation de l'auteur, le billet publié par Daniel Bougnoux sur son blog:

    http://media.blogs.la-croix.com/aragon-sur-le-vif/2013/08/29/

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    J’ai déjà mentionné à deux reprises sur ce blog la journée de réflexion poposée par Maryvonne Arnaud et Philippe Mouillon, « Collection de collections », le jeudi 26 septembre de 10 h. à 17 h. au Musée de Grenoble ; cette table ronde s’accompagnera de plusieurs expositions de collections particulières, parfois extravagantes…

    J’ai moi-même offert d’exposer des extraits de ma propre collection de manuscrits, dédicaces et lettres d’Aragon, et je me suis donc rendu hier à la Bibliothèque municipale de Grenoble pour y remettre une douzaine de pièces, dûment labellisées et évaluées (pour l’assurance) ; elles figureront sous deux vitrines dans le hall d’entrée, du 14 au 26 septembre sous le titre « Aragon sur le vif »  (extraits d’une collection privée). Avis aux Grenoblois ou aux amateurs de passage !

    Et pour ceux qui ne pourront s’y rendre, je poste ici quelques pages de mon travail d’hier, où j’ai à la hâte retranscrit sur mon ordinateur quelques manuscrits inédits, de manière à les rendre lisibles par tous les visiteurs à travers ces deux vitrines où l’on ne pourra évidemment rien feuilleter (l’écriture d’Aragon a la particularité d’être toujours parfaitement lisible, contrairement à celle de Stendhal également exposé à Grenoble, carrément indéchiffrable sinon par Gérald Rannaud !).

    Il est souhaitable qu’on réunisse tôt ou tard le maximum possible des dédicaces connues d’Aragon, qui sont souvent assez vives, et très touchantes (comme sont aussi ses lettres) ; Georges Aillaud a commencé ce travail de collecte et d’édition, je le poursuis ici pour le plaisir des scoliastes et amoureux d’Aragon.

    Dans la sélection confiée hier à la Bibliothèque, j’ai d’abord choisi ce texte, bref billet d’Aragon rédigé au dos d’un papier à lettre à l’en-tête de « Littérature 6e année » (on peut donc dater ce projet d’enquête de l’année 1924) :

    « Dégoûté des mesquines et guindées préoccupations d’ordre idéal ou artistique qui commande (sic) aux œuvres, voyez-vous dans le surréalisme un lyrisme direct capable de refléter sans la dominer toute la grandeur de la destinée humaine ?

    Je ne le vois que là. »

     

    D’une série de trois lettres à Georges Sadoul expédiées de Moscou en 1934, j’ai confié à la Bibliothèque la première ; la voici avec les suivantes, qui mériteraient une édition soignée :

    I – Lettre 1 datée par le cachet du 18 novembre 1934,

     postée de Moscou (enveloppe conservée)

    Mes chers enfants, mes chers petits… votre grand père vous écrit, et aussi à l’usage du P.U., dont je ne me rappelle jamais le n° dans les P’tits Zotels, plus parce qu’il est touché que vous vous rappeliez son existence que parce qu’il sait précisément ce qu’il va vous raconter.

    D’abord, vous ne reconnaîtriez plus Moscou : larges avenues, gratte-ciels, plus de ville chinoise, déjà GIKHL se trouve sur la célèbre Loubianka par un tour de baguette et alors nous ne parlons pas de l’abondance de tout dans les magasins : l’ancien Monab ouvert au public sous le nom de Gastronom, dépasse en splendeur tous les Félix Potin du monde. Il y a de grands cafés, et des petits, très élégants, où on joue du phono et boit du vrai café, des liqueurs, etc. Et j’en passe.

    Nous sommes de retour dans cette ville depuis une semaine. Après quinze jours à Gagry et un mois à Essentouki. C’est-à-dire un mois à Vichy et quinze jours à Juan-les-Pins. J’ai arrivé après congrès au poids de kgs 55, avec point de côté permanent dans la vésicule, et incapacité tenir sur pieds 5 minutes de bracelet-montre. Alors on m’a réparé. J’ai maintenant kgs 65, nu. Ceci n’est pas dit pour faire rougir Nora. Enfin on ne peut pas me considérer comme guéri, un an de régime s’impose, mais tout de même comme il se tire de mes Cloches de mes Bâle [sic], un film sauf votre respect, régisseur Jean Lodz, consultant Eisenstein, je suis invité par la kinofabrik à passer 2 mois à Odessa, écrivant scénario. J’attends réponse autorisant prolongation séjour, qu’on ne me refusera sans doute pas.

    Elsa a eu une sciatique à Gagry. A part ce délicieux divertissement, elle se porte bien et vous fait son plus joli sourire. Nous avons fêté notre sixième anniversaire et Octobre son 17e. Nous sommes un ménage très uni, et le scandale des milieux, par la longévité, la fidélité, et le mal que j’ai à dissimuler ma passion. En un mot, Elsa déclare qu’elle est obèse, je m’inscris en faux, et la trouve plus jolie que jamais.

    Maintenant à vous : qu’est-ce qui m’a fichu ces maladies ? Nora, Nora ! Je me fâche. Ecrivez vite vous-même que vous vous portez COMME UN RÊVE. Quant à Georges, ce chômage va-t-il durer longtemps ? Au fait, que fait P.U. ? Travailleur, dis-tu, mais est-ce toujours au journal ? J’espère que Denoël est arrivé à l’atteindre, comme prié, pour qu’il surveille les conneries édittoriales du llancement de mes Clôches [sic]. Et qu’il a reçu la carte postale sous enveloppe que je lui ai adressée au journal.

    Je dois te dire, cher Georges, que les imprécises nouvelles que tu me donnes du Cinéaste me rassurent à peine. En as-tu de nouvelles ? As-tu vu les Alberti ?

    Pour ce qui est de la littérature organisée, je n’en parle pas. Je fais mon métier, je ne pourrais pas en dire autant d’Antoine Bloyé ! Enfin je défends héroïquement une cause perdue d’avance. Attends toi à des changements qui ne te feront aucun plaisir.

    Mon héditeur (sic) ne m’a pas envoyé mon livre. Te l’as-t-il [sic] adressé ? J’y ai dit

    Assez plaisanté. Il est minuit au beffroi du village, et le veilleur se promène parmi les chats-huants en leur recommandant l’âme des Trépassés.

    Croyez, Monsieur, Madame… à vous lire et bien commercialement

    L.

    Boîte postale

    Lettre 2, enveloppe datée du 30 novembre 1934 (avec envoi recommandé), parvenue à Paris le 6 décembre

    Mon cher enfant, je suppose que tu as reçu ma lettre après m’avoir envoyé la tienne, pourtant l’idée que je me fais des dates me pousse à croire que tu aurais déjà dû avoir ma missive quand tu as écrit à Violette.

    Je ne comprends pas ce que tu me dis d’un ordre que j’aurais reçu : une convocation de Nicolas à l’Assemblée de l’AEAR le 20 novembre reçue le 10, ça ne me paraît pas impératif. Outre quoi j’ai fait une demande régulière de 2 mois, et notre ami m’a autorisé. Je suis en effet (encore qu’amélioré par le Caucase) toujours un malade, et incapable de travailler ce qui s’appelle travailler. Je vais employer ces 2 mois à un travail très doux, dans de bonnes conditions : un scénario à sortir des Cloches que j’écrirais vraisemblablement à Odessa. Mon adresse reste cependant Boîte Postale 850.

    Merci des renseignements. Donne m’en d’autres. Ce que j’ai aperçu de la réclame Denoëllesque est assez effondrant, mais ce n’est pas moi qui lèverai le petit doigt : une lettre de cet éditeur qui m’annonce des résultats assez satisfaisants (400 exemplaires par jour) m’éclaire par ailleurs suffisamment sur l’effroyable bouillie qu’il y a dans sa pauvre tête. Je l’avais engueulé pour le livre d’un nommé Membré (sic) sur l’URSS, qu’il a cru bon de publier et qui est le type de l’ordure. Il me répond que s’il m’expliquait sa politique d’éditeur je la comprendrais sûrement. Je n’ai pas reçu le Document qu’on n’a sans doute pas laissé passer, car d’après ce que tout le monde (et l’Huma) en dit c’est aussi de la saloperie : eh bien, imagine-toi que Denoël est persuadé que quand je verrai cette ignominie je serai enchanté ! Le pire est que si j’avais été à Paris j’aurais pu empêcher cette publication. Il faudrait faire venir ici cet innocent ( ?) pour qu’il se rende compte de la valeur de son objectivité.

    Ici tout va de mieux en mieux. Aujourd’hui est annoncée officiellement la suppression de la carte de pain, et cela au moment où Hitler l’instaure en Allemagne. Les cafés se multiplient, et pas des cafés comme tu en as connu un ou deux en 1930 : des cafés occidentaux, très élégants. On ouvre ces jours-ci 14 nouveaux restaurants tout à fait chic. Nous dînons tous les jours au Savoy qui a un restaurant à 10 roubles tout à fait admirable.

    Ilya est ici. Nous ne nous disons que bonjour et bonsoir quand par le plus grand des hasards… Si le cas échéant tu vois Paul, dis lui que je n’écris rien, rien n’étant décidé. Qu’il tienne très ferme à ses positions : il n’a pas besoin de croire ce que des gens non mandatés voudraient lui faire croire. Explique lui que ma présence ici a été une grande chance dans ces derniers 20 jours. A part cela, ma santé étant encore très précaire (crise aujourd’hui même) comme un mot de Vassart à nos amis parisiens a pu le faire savoir, je suis plus utile ici que là-bas, bien que je n’aie nullement l’intention de m’éterniser. Mon retour fin janvier est tout à fait décidé. J’ai des idées très précises sur mes prochains travaux littéraires et autres : mais d’après le médecin même, et l’état où me met la moindre fatigue, il ne faut pas compter que je reprenne mon travail de l’année dernière.

    Je crains que la santé de Paul ne soit sérieusement compromise. Peut-être dans le cas où il n’irait pas à son bureau encore quand tu recevras cette lettre pourrais-tu faire un saut jusque chez lui, puisque tu me dis que tu as du temps libre ? Cette lettre est autant pour lui que pour toi. Tu m’excuses de ces façons d’agir. Paul m’en excusera aussi, mais j’ai l’impression qu’il est préférable de ne pas lui écrire directement.

    Léon et P.N. seront de retour à Paris avant moi (P.N. assurément en décembre, Léon à mon avis doit attendre la fin de certaines conversations, mais vraisemblablement reviendra avec P.N.) En conséquence Paul sera très prochainement renseigné mieux que par lettre.

    Ecris-moi. Mille et une choses de la part d’Elsa à tous deux. Nora va-t-elle tout à fait bien ? As-tu vu les Alberti ? Je vais écrire à PU.

    Je vous salue, Marie etc.

    L.

    Voici donc la suite des documents manuscrits promis, confiés pour exposition à la Bibliothèque Municipale de Grenoble.

    Tout d’abord ce billet de protestation, crayonné en bleu lors d’une séance du Comité National des Ecrivains à Paris en novembre 1944, qu’on imagine houleuse. Il est suivi de la lettre de démission d’Aragon, datée et signée, que je n’ai pas recopiée. On lit sur le billet :

    « Monsieur le Président,

    J’ai demandé que soit, avant d’engager le débat, posée une question préalable. Il n’y a pas été répondu.

    Au cours du débat, l’argument fidélité à Pétain ayant été réintroduit notamment par M. Gabriel Marcel, je me retire de la séance, et n’y reviendrai que si satisfaction est donnée à une exigeance (sic) qui est celle non d’un écrivain mais d’un Français.

    S’il en était autrement, je me considérerais comme exclu par le CNE de ses rangs et j’en saisirais l’opinion

    Aragon »

    Il arrivait à Aragon d’envoyer à la fois une lettre et un livre – la lettre tenant lieu de dédicace. C’est le cas avec cet envoi du Fou d’Elsa à ses amis Josephson du Connecticut (Hannah avait traduit en 1941 Les Voyageurs de l’impériale), sur la page de garde du Fou paru en octobre 1963 dans la grande édition blanche, que le manuscrit d’une écriture serrée recouvre entièrement. Le récit de la mort de Tristan Tzara permet de dater ce texte des derniers jours de 1963.

    « Chère Hannah, cher Matty – on dirait que je ne sais vous écrire que sur les livres : j’ai le sentiment de m’être conduit avec vous comme un ours mal léché, je n’ai pas répondu à Matty qui voulait des photos, qui m’a envoyé son livre  etc etc. C’est que trois ans j’ai écrit cette « Histoire parallèle » qui doit paraître en Mars, je crois, aux U.S.A., et que j’étais comme fou, et puis quand j’en ai eu fini, je n’en ai pas eu fini (parce qu’il y avait une édition illustrée où je devais surveiller le travail, faire les légendes…). Or, j’avais en 1959 commencé ce monstre-ci, auquel je devais travailler en cachette… et qui m’a dévoré à son tour jusqu’à ces jours-ci. Maintenant on a inventé de publier en 32 volumes (16 d’Elsa, 16 de moi) ce que les éditeurs diaboliques appellent nos Œuvres romanesques croisées, c’est-à-dire romans et nouvelles d’Elsa et de moi qui se vendent par souscription comme au XIXe siècle, et de telle façon (les tomes numérotés à la suite sans tenir compte si le livre est d’E. ou de L.) que dans les bibliothèques les gens ne puissent jamais plus nous séparer. Elsa appelle cela « notre cercueil », et nous sommes contents d’y dormir ensemble. Mais que devenez-vous ?  Et les fils ? Et quand venez-vous ici ? Vos avions vont vite, et si vous voulez encore nous voir ils ont raison de le faire. Voilà que notre pauvre petit Tristan est parti. Je l’ai revu juste avant cette nuit de Noël où il s’est tout à fait endormi, il ne voyait plus, ne parlait plus, mais m’a cherché de la main près de son lit, d’une main maigre et aigüe comme celle qu’il y avait vous savez  [dessin d’une main de colophon] dans les textes Dada. Je vous embrasse, Elsa aussi

    Louis »

    Sur un livre de poèmes de Yannis Ritsos, La Maison est à louer (EFR 1967), Aragon écrit à Jean-Louis Bory, la même année (sans date) :

    « à Jean-Louis Bory, ce livre comme une preuve à l’appui du bien-fondé de notre commune démarche aux premières heures des événements d’Athènes. Mais ne faudrait-il pas unir (et avec d’autres) les signatures de notre appel afin d’obtenir, au moins, la mise en liberté surveillée du poète, hors de cet affreux camp de Leros où nul n’a accès, et où il est gravement malade, sans soins ? Ailleurs, on pourrait lui envoyer un médecin fiable.

    A la semaine prochaine

    Aragon »

    Voici enfin une lettre stupéfiante, arrivée à Grenoble aux premiers jours de 1966 dans la boîte de Marie-Jo Thivel, qui me l’a vendue trente-cinq ans plus tard. Cette correspondante avait écrit à Aragon pour lui demander de préfacer un recueil des poèmes d’Alain Borne. Cette lettre a déjà paru, annotée par moi, dans le journal « Faites entrer l’infini » bien connu des aragoniens ; je la republie ici avec mes note d’alors.

    L’archive que je confie à la Bibliothèque contient d’autres documents – une dédicace des Yeux d’Elsa « à Nusch, à Paul » pour fêter en 1943 leur réconciliation, une étonnante dédicace du Voyage de Hollande (1964) à Saint-John Perse qui venait d’avoir le Nobel, une lettre de réponses (assez précises) à l’enquête d’une étudiante anglaise sur les poètes de la Résistance – que je n’ai pas pris le temps de transcrire, et que les visiteurs découvriront.

    (Aragon sur le vif, du 14 au 26 septembre à la Bibliothèque municipale d’études de Grenoble, en face du multiplex Pathé-Chavant).

    Avocat à Montélimar et poète, Alain Borne avait publié en 1941 Neige et vingt poèmes ; c’est en réponse à ce livre, d’une inspiration peut-être trop éthérée, qu’Aragon avait écrit en août 1941 l’un des principaux (et des plus saisissants) poèmes des Yeux d’Elsa. Intitulé « Pour un chant (national) », ce texte avait valeur de programme et d’art poétique pour la Résistance, et il est probable qu’à la suite de cet échange les deux hommes s’étaient rencontrés, lors du séjour forcé des Aragon dans la Drôme.

    Alain Borne décéda le 21 décembre 1962 dans un accident de voiture. Une partie de ses textes se trouve recueillie, en deux volumes (1980, 1981) aux éditions Curandera de Poët-Laval, et les éditions Voix d’encre poursuivent aujourd’hui cette publication. Marie-Jo Chauvet-Thivel, enseignante à Grenoble, avait été très liée à Alain Borne ; à la fin de 1964, elle écrivit une première fois à Aragon pour attirer son attention sur la mémoire du poète, et celui-ci lui répondit par un billet, posté le 27 avril 1965 : « Il y a dans un livre qui, j’espère, paraîtra cette année, quelques mots sur Alain. Pas du tout ce que vous attendez, mais comme une promesse publique, en tout cas. Je vous l’enverrai, ce livre, et cela vous paraîtra peut-être dément ».

    Il s’agissait de La Mise à mort. Désireuse de pousser Aragon à en faire davantage, sa correspondante lui adressa en retour des textes d’Alain Borne, et s’attira la réponse suivante. Lettre superbe, orageuse, follement injuste dans sa retorse argumentation, mais lettre de vérité jetée par un écrivain au sommet de son oeuvre à une correspondante qui ne lui est rien et qu’il ne rencontrera jamais. Aragon peut se dire, en ces années, légitimement épuisé, et lui-même raconte dans La Mise à mort comment il lui arrive, à l’ouverture d’une maison de vacances, de s’étendre de tout son long sur le sol : « C’était une fatigue mortelle, il fallait bien se mettre sur le dos, toucher le sol (…), là sur la pierre, la poussière. C’était cela, le milieu, ne plus savoir ni ce qui vient avant, ni ce qui vient après, rien, rien que la fatigue entre les deux (…) le poids géant des jambes, les pieds bleus de veines… » (Folio,  page 157).

    Au moment de cette lettre, le procès de Siniavski et Daniel s’est ouvert en U.R.S.S., et Aragon va peser de tout son poids en faveur des accusés ; la réécriture des Communistes à laquelle il fait ici allusion alourdit certainement ce contexte moral, et on comprend qu’il se sente, en effet, harcelé de sollicitations inopportunes. Mais on devine aussi, à lire ces pages furieuses, que le nom du poète drômois a réveillé et touché en lui une zone très sensible. N’avait-il pas, dans Henri Matisse, roman, fait en passant la remarque que le roman de Matisse aurait pu tourner en celui d’Alain Borne ?

    La lettre que m’a confiée son aimable destinataire constitue donc le fragment, émergé, de l’un des romans réprimés d’Aragon. Mais on y lit aussi un document de premier ordre sur la graphomanie d’un auteur capable d’écrire six pages à une inconnue pour s’excuser de n’avoir pas le temps de lui écrire !

    « 1/1/66

    Chère Madame,

    J’ai sous les yeux vos deux dernières lettres (la première du 6 novembre, la seconde de ces jours-ci). Bien que je puisse comprendre votre impatience, et que, par exemple, il soit tout à fait possible que vous croyez que je garde tout cela que vous m’avez envoyé sans la moindre intention d’écrire jamais un mot sur Alain, peut-être faut-il que je vous explique comment vont les choses.

    Croyez-moi ou ne me croyez pas. J’ai réuni tout ce que j’ai d’Alain, y compris les inédits que vous m’avez envoyés, à portée de ma main dans mon bureau dans l’intention de faire ce travail, un peu autrement qu’un travail. À mon grand regret, le temps ne m’en a jamais été donné, et peut-être que vous imaginez que c’est de ma part paresse, négligence, indifférence. Pourquoi pas, n’est-ce pas ? Seulement vous ne vous représentez pas ma vie, ce crime qui est le mien, d’être vivant, moi. Et vous savez je n’y tiens pas tant que tout ça, mais la multitude des gens qui ont des droits sur moi fera sûrement que le jour où je leur échapperai j’aurai à la dernière minute une bonne pensée pour eux, pour le tour que je leur jouerai en n’étant plus là, et il faudra qu’ils exigent de quelqu’un d’autre ce qu’ils exigeaient de moi. Aujourd’hui, par exemple, 1er janvier 1966, j’ai dû écrire 47 lettres (je dis lettres, pas des mots à la va-vite, ou des souhaits de bonne année, le monstre que je suis ne souhaite jamais rien à personne). Il y a les morts, et ils sont légion, les vivants et ça fait pas mal : il arrive que je parle de quelqu’un, J. S. Alexis par exemple à qui on a crevé les yeux dans sa prison avant de le tuer, et qui n’avait pas eu droit à trois lignes dans toute la presse mondiale[i]. Mais il m’arrive de ne pas y aller de ma messe de bout de l’an pour quelqu’un que j’aimais bien pourtant, de quelqu’un dont par exemple j’ai écrit à moi seul plus que tous les gens de France et de Navarre, mais alors par conséquent c’est une raison qu’on exige que je remette ça. Ce qui fait qu’à la fin il y a des hommes qui ont été mes amis et auxquels je ne puis penser sans une épouvantable fatigue. Peter Rhodes[ii] vous a été désagréable, Madame, je le regrette, mais personne depuis près de cinq mois qu’il était mort ne l’avait signalé, seulement signalé en France, et dans son pays c’est quelqu’un dont on ne parle pas. Des choses de ce genre-là, je n’y fais pas toujours face et je le regrette, mais même cela n’est pas toujours possible, bien que je dorme très peu, et que je travaille souvent à la lumière vers cinq ou six heures du matin, pour me coucher le soir suivant à deux ou trois heures. Ça ne fait rien, n’est-ce pas, puisque je suis vivant, ignoblement vivant.

    Il faut aussi que vous sachiez, Madame, que je ressens le désappointement des autres, des autres qui sont comme vous et dont on ne compte pas le nombre sur les doigts, beaucoup, beaucoup, comme disent les sauvages, en agitant les mains. Que cela m’empêche de dormir. Mais qu’à chaque fois que ce que je m’apprêtais à faire du fond de mon cœur, de mon vieux cœur, usé, malade, qui se met facilement à battre à 150 ou 160, on vient me rappeler que je ne l’ai encore pas fait, que qu’est-ce que j’attends, et ainsi de suite, eh bien, imaginez-vous que cela m’empêche absolument de le faire, de le faire comme un pensum, parce que, moi, je ne peux rien faire comme un pensum. Et en tout cas pas quand il s’agit d’Alain Borne. Imaginez-vous.

    Je sais que vous trouvez cette lettre odieuse, injuste, affreuse, tous les adjectifs que vous voudrez. Mais je n’y peux rien. J’en ai assez de faire mon devoir. Si vous voulez que j’écrive d’Alain comme un boy-scout qui fait sa B.A., c’est votre affaire, mais moi, non, je ne le ferai pas.

    Quand je pense à l’ampleur que je voulais donner à une étude sérieuse des poèmes d’Alain, et comment je voulais donner au-delà de cela même signification générale à ce que j’écrirais… et que, peu à peu, après avoir laissé une fois, deux fois, trois fois le temps de reprendre ma respiration, d’oublier que ce n’était plus moi qui voulais écrire, mais que c’était quelqu’un qui l’exigeait de moi… quand je pense que peu à peu le sentiment me vient que je ne pourrai plus jamais penser que j’étais sur ce sujet-là parce que j’en ai l’envie, le désir, la passion, mais parce qu’on le veut de moi, je vous assure, Madame, que la tristesse que vous pourriez en avoir est sans mesure avec l’amertume que j’en ai.

    Vous m’avez deux fois réclamé les textes qui vous appartiennent ; vous estimez, et sans doute avez-vous raison, que vous me les avez assez longuement confiés comme ça… très bien, il suffira d’une ligne de vous et je vous les renverrai. Si je ne le fais pas aujourd’hui c’est uniquement par respect de ce qui vous rend impatiente, parce que je pense tout de même qu’évidemment je ne compte pas à vos yeux, que pour vous ce n’est pas de moi qu’il s’agit, ce que je trouve normal. Le malheur est que quand il s’agit d’écrire, ce soit tout de même de moi que cela dépend, d’un moi nerveux, vicieux peut-être, en tout cas qui est hors d’état de faire une chose qu’on lui réclame.

    Parce qu’on lui en réclame de toutes les couleurs, et que par exemple cette année c’est l’année Romain Rolland, paraît-il (il aurait cent ans) et on ne comprendrait pas que je ne fasse pas le discours en Sorbonne (2 mars prochain) à ce sujet, et que même ça, qui je vous assure exige bien deux mois de lectures (relectures, n’est-ce pas, ça semble facile) à ne rien faire que lire… même ça ne leur suffit pas, c’est un perpétuel harcellement [sic], semaine R.R. ici, semaine R.R. là – remarquez, je vais les envoyer tous promener[iii]. Il y a une femme que je respecte et dont le mari, il fut presque un ami, a été tué dans les camps de Staline, depuis deux ans un livre de celui-ci attend pour paraître en France une préface de moi, le livre est composé, l’imprimeur, l’éditeur protestent[iv]. Je suis pris dans une affaire bien « personnelle » cette fois, nos Œuvres croisées vous savez, avec Elsa (qui est malade, Madame, depuis six ans, au point que je tremble à toute minute du jour et de la nuit), dont 12 volumes, un travail monstrueux, ont paru en un an et demi, et nous avons déjà préparé les tomes 13-14 et 15-16, Elsa est sur les 17-18, moi sur les 19-20, nous devons avoir fini dans les quinze mois (32 volumes en tout), et j’ai réécrit de fond en comble[v] Les Voyageurs de l’impériale et je suis en train de réécrire Les Communistes (six vol. dans l’édition originale, quatre ici) en en enlevant huit personnages. Tout ça, naturellement ne compte pas, c’est affaire égoïste. Il y a toutes les choses dont moi seul, paraît-il, je puis parler. Celles que je n’énumère pas, devant vous, comme devant d’autres, je ne parlerais pas d’Alain Borne. Par décence. Comme il y a aussi, je le dis en passant, toutes les choses pour lesquelles je paye, je paye sans arrêt, et pour lesquelles je dois gagner l’argent qui sert à les payer, tant pis si j’en crève, mais si je ne le faisais pas, personne ne croirait que c’est par autre chose qu’avarice, alors je fais le nécessaire, et je suis là, comme un homme perpétuellement saigné, vous m’entendez, saigné. Mais je n’ai plus le droit de m’arrêter. Il y a des gens qui comptent sur moi, vous ne voudriez pas que, moi, je compte ! Oh, j’ai tort de vous dire ça, mais si vous saviez ce que j’en ai assez, assez. De toujours passer des examens, de rendre compte de mon emploi du temps, d’être jugé sur ce que j’écris et sur ce que je n’écris pas, de devoir être poli, avoir le sourire, écouter les gens, les recevoir, répondre à leurs lettres, envoyer des mots de recommandation pour des gens qui n’ont pas à manger ou qui ne peuvent pas se marier avec la femme qu’ils disent pour le moment qu’ils aiment, et j’en passe. Et lire leurs manuscrits, leurs vers ridicules, leurs romans confondants, leurs élucubrations insanes, et faire le gentil, et me rappeler qu’eux, ils trouvent ça bien, et que de quelqu’un comme moi un mot trop sévère ou trop juste peut les tuer, me rappeler que je dois me faire pardonner à la fois d’être ce que je suis et simplement d’être.

    Voilà, Madame, la vérité. Cette chose intolérable. Mais je mens mal, et puis je n’en ai pas l’envie. Je ne fais rien ici pour vous plaire. Je vous dis ce qui est.  Au-delà de cela, si vous le voulez, détestez-moi. Réclamez ces livres, ces papiers, je ne vous les ferai pas attendre. Il ne m’appartient pas de vous dire ceci est juste ou injuste. J’ai l’habitude d’être jugé, à vous de le faire, je ne suis pas à un jugement près. Je me suis montré à vous tel que je suis. Sans rien farder. Vous avez le droit d’aimer assez Alain pour me haïr. Je ne m’en plaindrai pas. Je suis au-delà des plaintes.

    Votre très respectueux

     

    Aragon »


    [i] Jacques Stéphane Alexis, poète et romancier haïtien, auteur notamment du très beau Compère général Soleil (Gallimard), fut assassiné à la fin de 1965 ; Aragon lui consacra un article dans Les Lettres françaises du 16 décembre 1965 sous le titre « Le Poète assassiné ».

    [ii]  La mort de Peter Rhodes, survenue le 1er septembre 1965, venait de provoquer Aragon à écrire un article dans Les Lettres françaises du 30 décembre, « Peter mon ami », reproduit dans FEI n° 31.

    [iii] Aragon s’exécutera néanmoins – ou faut-il dire se fendra (« Verbe atroce et pareil à la bouche sans dents… ») d’une conférence en Sorbonne, publiée dans Les Lettres françaises du 3 mars 1966.

    [iv] Nous n’avons pu identifier de quel ouvrage il s’agit.

    [v] Affirmation pour le moins exagérée. Cf notre « Note sur le texte » des Voyageurs de l’impériale, Œuvres romanesques complètes, bibliothèque de la Pléiade tome 2, pages 1396-1405.

    Lettre 3, expédiée le ? (cachet postal illisible),

    reçue à Paris le 18 décembre 1934

    Nouvelle adresse : Hôtel de Londres, 34, Odessa

    Mon cher Georges,

    J’ai reçu ta lettre contenant François Porché juste avant mon départ de Moscou. Je t’envoie ce mot à la hâte avec ma nouvelle adresse en arrivant à Odessa. Nos lettres ont pris l’habitude de se croiser, tu auras reçu entre temps le mot plus adressé à Paul qu’à toi. Je ne te cache pas que je crains en rentrant des emmerdements comme d’habitude : cette fois, simplement parce que les petits amis ne brillent pas toujours par le courage. J’ai pourtant actuellement pour moi tout ce qu’on peut avoir, et la position est meilleure qu’elle n’a jamais été. Mais il faut compter avec la veulerie, etc. Explique à Unik le télégramme que je lui ai envoyé en recevant un mot de Servèze, m’annonçant pour Commune un article de lui, Servèze, sur les Cloches ! Tu comprends, dans cette revue que j’ai fondé (sic], la seule où je puisse avoir un article propre, un article de ce sectaire, qui est un brave bougre, mais enfin ! Je n’ai pas mérité ça. Comme mon télégramme annonce qu’un article sera envoyé de Moscou, j’espère que l’autorité de cette ville arrangera les choses. J’espère aussi que Nizan enverra vraiment l’article promis. J’ai cessé d’espérer que L’Humanité parlerait de ce livre, et je me contente d’être connu de François Porché. Mais enfin la charmante et jolie politique à l’égard des écrivains membres du P.C. continue son train d’enfer, comme dit Thirion (Georges).

    J’ai à te demander un grrrand service : tu sais que je mets Cluses en film à Odessa. Mais pour le film il me faut le jugement et la fin. Veux-tu aller au journal, consulter  la collection de 1905, où tu trouveras (je crois dans l’été ou l’automne) les nouvelles du procès qui a eu lieu à Annecy ou Chambéry. Prends là dessus des notes qui me permettent d’imaginer le lieu, et de mettre quelques « cadres » à la fin de mon scénario. Songe qu’il s’agit d’un scénario parlant. Il me faudrait l’extrait du discours de Briand quand il dit : Vous voulez voir un agitateur ? Eh bien, regardez-moi ! ou à peu près. Si ça n’est pas dans L’Huma, tu trouveras à l’information chez Unik la bataille syndicaliste et peut-être Le Matin. De plus j’aurais besoin des incidents de séance, de la composition du tribunal et du verdict. Egalement entre Cluses (Juillet 1909) et le procès, tu trouveras de ci de là dans l’Huma, des papiers sur l’occupation militaire de ce village qui a duré un an. Prends-y des détails pour moi.

    Je sais ce que je te demande là, et que c’est un travail du diable, et pas drôle. Peut-être Unik voudra-t-il te donner un coup de main ? Excuse-moi, mais pour que le film soit propre je n’ai pas d’autre moyen que cette exploitation. Enfin peux-tu me trouver la première grande affaire où Briand a fait tirer sur les ouvriers, et à cette occasion chercher à la même source quelques détails pour un épilogue, où le capitaine Thiébault est chargé de ça par Briand, ancien avocat des ouvriers de Cluses, et trouvera Catherine dans les rangs des grévistes ?

    Le principal là-dedans ce sont les notes sur le procès. Si les journaux de L’Huma étaient insuffisants, à la Bibl. Nationale où on peut se faire faire des cartes à la journée tu trouverais le complément.

    Encore pardon, j’ai honte de te demander tant, mais c’est ta faute, tu m’as fait dans une de tes lettres de trop honnêtes propositions. Envoie les résultats plutôt en plusieurs fois qu’en une, dans le sens chronologique, pour que je puisse gagner du temps.

    Aussi, si tu peux mettre la main sur la brochure de Briand : La Grève Générale, éditée par L’Humanité je crois au moment de la grève des cheminots, quelques phrases caractéristiques à citer me seraient précieuses.

    Nous sommes depuis hier après-midi à Odessa. Ma fenêtre est sur le port, à quelques pas du célèbre escalier. Tu t’imagines si je suis intéressé par les souvenirs laissés ici par les Français, dans cette ville fondée par un duc de Richelieu, représenté en bronze en haut de l’escalier, en César romain, avec sur le socle un Mercure en bas relief, et encastré dans le socle un boulet français de la guerre de Crimée. Pour n’aller pas plus loin dans l’histoire.

    Lodz arrive demain. On tourne ici un film joué par des enfants et Boudienny en personne ! « Tu es le vrai Boudienny ? » demande un des gosses. Il répond que oui. « Et tes moustaches sont des vraies moustaches ? » Boudienny répond que oui. « On peut les tirer ? » Et Boudienny les laisse tirer par les gosses. Ce n’est pas très Hollywood, mais c’est comme ça.

    Je ne te parlerai pas ici des journées de Kirov à Moscou : rien de ma vie ne m’a fait une plus grande impression. J’ai lu avec étonnement dans notre journal du 2 Décembre le petit entrefilet : Un fonctionnaire soviétique assassiné. Il y a des choses qui ont l’air de sabotage encore plus que d’imbécillité. La lutte des classes n’est pas finie, et ceux qui (type Margueritte) sautent par-dessus les étapes auraient dû voir ces journées de Décembre à Moscou. Rien de plus fantastique, de plus admirable. Le Ministre du commerce arrivé comme Gugusse à ce moment même m’a fait l’effet du Mercure au socle du duc de Richelieu. Il ne reste plus de place pour les amitiés, pour Nora, pour Elsa, et pour moi-même.

    L.

    Voici enfin une des plus belles lettres d’Aragon que je connaisse, à Joë Bousquet qui venait de publier Traduit du silence ; Elsa et lui l’avaient fréquenté autour de son lit d’invalide, à Carcassonne, à l’automne 1940 (comme il est raconté dans Blanche ou l’oubli où Bousquet devient Jim Labadie). Lettre lourde de sous-entendus (pour tourner la censure) et de drames : la veille de cet envoi eut lieu dans ce village même, faubourg d’Avignon, une chasse aux Juifs dont le poème « Le Médecin de Villeneuve » dit le climat d’horreur. J’attire l’attention du lecteur sur le meilleur passage, que j’ai cité quelque part dans l’introduction de Pléiade II il me semble : « ce que j’écris n’a nulle part pour but l’avenir littéraire, ce n’est que ma voix… » Bouleversante mise au point, dans ce contexte !

    Envoyée de Villeneuve-lès-Avignon le 27 août 1942

    (enveloppe conservée)

    Cher Joë –

    Ainsi « Trad. du Sil. » est épuisé : il y a quelque chose d’extraordinaire et de réconfortant à cette capacité de lecture qui s’est déchaînée ces jours-ci. Mon article, je l’espère, coïncidera avec le second tirage, prévenez-en Gaston Gall. Il doit paraître dans Fontaine, mais Max-Pol n’écrivant guère ne me dit pas quand, il s’est contenté de me télégaphier : « Article sur Bousquet admirable lettre suit ». Il y a de cela trois semaines. L’article s’appelle : « Introduction à la vie héroïque de Joë B. » Il a l’importance de cette « Leçon de Ribérac », c’est-à-dire qu’il fera je pense quinze pages de Fontaine au moins. Je ne vous l’envoie pas pour que vous le lisiez déjà imprimé, comme une surprise. Les quelques personnes à qui je l’ai lu ont immédiatement été prises de la frénésie de lire votre livre. Aussi j’espère qu’on le trouvera en librairie dans un ou deux mois.

    Non, je n’ai pas lu Présent, et si vous pouviez nous envoyer ces numéros, Elsa et moi serions bien heureux de lire, même cochonnés par les rédacteurs, ces fragments d’un livre tant attendu. J’y compte, ne tardez pas ! J’ai, je dois le dire, une curiosité plus particulière de ces morceaux que j’aurais pu lire avant d’écrire mon article, et que la simple ignorance m’a fait manquer (j’ai essayé de les retrouver mais rien à faire), surtout parce qu’ils risquent de confirmer ou d’infirmer des choses que je dis dans cet aticle,auquel j’ai la faiblese de tenir.

    J’aimerais de mon côté, dès que ce Cahier du Rhône-là sera sorti que vous lisiez ma participation à la « Controverse sur le génie de la France », qui doit suivre le livre de Marcel Raymond paru à Neuchatel. Dans une certaine mesure, l’article sur vous est un autre moment de ce qui m’a fait écrire cet article-ci intitulé La conjonction Et. Vous y verrez dans une note une allusion au roman qu’Elsa écrit ces temps-ci, qui est pour beaucoup dans mes réflexions, et qui tourne aussi autour de cette question qu’il pose : Qu’est-ce qu’un héros de nos jours ? Ce roman est un développement très surprenant du talent d’Elsa, de ce que ses livres précédents ne faisaient que promettre, ne contenaient qu’en graine. De « Bonsoir Thérèse » à ce livre encore innominé, il y a peut-être un mouvement très semblable à celui qui vous porte de votre œuvre ancienne à ce que vous écrivez maintenant, et je pense que c’est là ce qui vous donne le sentiment de parenté, de collaboration avec Elsa, quand vous lisez « Mille Regrets », qui est comme la charnière de cette porte qui va s’ouvrir.

    Oui, j’ai passionnément aimé le poème d’Eluard dans Fontaine (et vous verrez ce que Seghers publiera dans le prochain Poésie 42, sans parler des poèmes de Messages à Paris). Si Eluard me rendait la justice que je lui rends, les choses seraient trop belles. Mais qu’importe. Ce que j’écris n’a nulle part pour but l’avenir littéraire, ce n’est que ma voix, et, je l’espère, la voix humaine. Je n’écris pas, je parle, et je parle pour dire quelque chose, ce quelque chose que d’autres meurent sans dire. A ce propos, les nouvelles de Jean C. sont mauvaises. Tout cela nous met loin des Lauza ( ?) et autres m’as-tu-vu, pour lesquels il n’y a que trop d’indulgence chez nos amis mêmes. Mais enfin il faudrait surtout se voir, et voici Septembre. Ce qui retarde notre venue à Villalier ou Carcassonne (dites-moi si vous y restez) ce sont des questions locatives : nous sommes tiraillés par l’incertitude, nous voulons rester à Villeneuve, n’avons rien trouvé. Finalement nous avions sous-loué un appartement (trop cher) à un militaire en vacances, qui revient ici le 20 septembre, alors nous comptons voyager quand nous n’aurons plus de loyer, dans les derniers dix jours du mois. Le malheur est qu’il faudra probablement retourner, après vous avoir vu, à Nice : sale ville, assez inquiétante pour nous.

    Ce que vous me disiez des Juliens, je l’ai vu hier même ici s’accomplir. Je ne vous donnerai pas de conseils comme fait Mistler, ni les siens ni d’autres. Je suis très inquiet pour cet ami qui venait vous voir avec sa femme, quand nous étions encore à Carcassonne, vous savez cet homme à cheveux gris, qui avait un nom compliqué ? Resté seul à Nice, sa femme partie, je crains qu’il ne tombe malade.

    Lisez-vous Confluences régulièrement ? Je crois que deux mois passeront sans que vous ayez la suite de votre feuilleton, à cause, dit-on, d’un poème mythologique. Cette bizarrerie est la première de son genre. Attendons la suite. Au milieu de tout cela demeure la confiance inébranlable que nous avons dans l’avenir et la grandeur de notre pays. Les nouvelles sont bonnes, les signes de redressement se multiplient, oui, il s’agit bien d’une renaissance nationale. Et je trouve, malgré la grandeur des sacrifices, les inquiétudes, que rien ne va si mal dans le monde qu’on voudrait nous le faire croire. C’et seulement très cher, et on se sent honteux de ne pas payer le même prix que les autres.

    N’oubliez pas ces Présent ! A bientôt, affectueusement de nous deux

    Louis


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  •  Le projet "Genèses": appel à communicationProjet d’un séminaire Aragon-ITEM « Genèses » 2013-2015 Appel à communication

     

    Nous faisons l’hypothèse, après plusieurs communications et un colloque en ligne sur les chercheurs au contact des manuscrits, d’une relance de l’approche génétique de l’œuvre d’Aragon : ce projet que l’on pourrait intituler simplement « Genèses » passe par la programmation du séminaire (au moins pour deux journées d’étude pendant deux ans, dont une commune avec ERITA) autour des manuscrits d’Aragon et d’Elsa Triolet. Car d’emblée apparaît la nécessité d’une génétique croisée qui permettrait de réintroduire l’œuvre d’Elsa Triolet dans le corpus d’étude de notre groupe. Le programme du séminaire pourrait inclure une séance initiale d’initiation à la génétique et quelques séances de travaux pratiques ou « d’atelier » autour de la question de la représentation des manuscrits (lecture, transcription, visualisation, etc.). Les Actes du séminaire devraient déboucher sur une publication dans le cadre de l’ITEM.

     

    Les travaux génétiques ont commencé dans les années 80 autour du Fonds Aragon-Elsa Triolet du CNRS dirigé par le regretté Michel Apel-Muller et maintenant conservé au Département des manuscrits de la BNF (site Richelieu) sous la direction de Marie-Odile Germain. Tout d’abord avec les chercheurs du GDR Aragon-Triolet sous la directions de Suzanne Ravis, et ils ont alimenté certaines thèses (Renate Lance, Nathalie Limat, Maryse Vassevière, Marianne Delranc, Marie-Thérèse Eychart, etc.). Et ensuite avec l’équipe de l’Université de Besançon autour de Claude Condé, Lionel Follet, le regretté Jean Peytard sur l’immense dossier des Communistes. Puis l’édition des cinq volumes des Œuvres romanesques complètes et des deux volumes des Œuvres poétiques complètes dans la Pléiade a permis aux différents éditeurs (Daniel Bougnoux, Olivier Barbarant et leurs collaborateurs) de faire un travail considérable et précieux : parcourir les dossiers génétiques de chaque œuvre et rapporter l’essentiel des variantes.

     

    Pour autant tout n’a pas été dit et le chantier génétique de l’œuvre d’Aragon comme de celle d’Elsa n’est pas encore terminé… Il s’agirait donc de faire d’abord une manière de pointet de reprendre les immenses domaines laissés ouverts à la recherche (par exemple Le Fou d’Elsa, La Défense de l’infini ou l’œuvre romanesque terminale d’Elsa Triolet) en sollicitant les chercheurs qui se sont faits partiellement généticiens pour l’avancée de leur propre lecture des œuvres, et en sollicitant aussi de nouvelles collaborations, de jeunes chercheurs notamment.

     

    L’approche génétique étant par nature ouverte aux grands axes de lecture des œuvres, on ne privilé­giera aucune problématique en faisant l’hypothèse que les « sentiers de la création » nous mèneront à la fois vers des questionnements d’ordre linguistique et poétique ou d’ordre sociolo­gique et politique, tout autant que vers l’arrière-texte autobiographique des œuvres. Par ailleurs, l’immensité du corpus aragonien nous permettra aussi d’aborder une sorte de génétique des genres et de faire émerger peut-être des spécificités de l’écriture romanesque, poétique et journalistique d’Aragon.

    Maryse Vassevière et Luc Vigier

    Propositions à envoyer à : maryse.vasseviere@wanadoo.fr

     

     

     

     

     


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  • Le grand jeu

    (A propos de Théâtre/Roman)

    Aragon a fort peu écrit pour le théâtre : deux courtes pièces essentiellement du Libertinage, d’ailleurs remarquables et malheureusement jamais jouées, que j’ai eu le plaisir d’éditer dans le tome I de la Pléiade. Le terme de théâtre en revanche semble constituer une archi-catégorie de son écriture ou de sa poétique, qui n’intitule pas par hasard son dernier opus majeur, comme s’il voulait par lui dénuder une composante de son œuvre, et en même temps la couronner. D’où notre colloque, et ma propre contribution destinée à mieux cerner cette obsédante théâtralité d’Aragon.

    Mais théâtre sous sa plume nomme exactement quoi ? Le plus haut des langages sans doute, comme il est dit page 113 (éd. « L’Imaginaire »), et nous aurons à dire pourquoi ; je proposerai ici une petite typologie ou un échelle des jeux repérable dans ce corpus du dernier roman, qu’on peut graduer depuis le simple débrayage énonciatif jusqu’à une extrême cruauté. Où commence, où s’arrête le jeu, quand l’écriture ou l’amour le compliquent et ne cessent de le relancer ? « J’ai toujours joué. De tout, de tous, avec moi-même. Toute ma vie n’aura été qu’un jeu prolongé » (Blanche ou l’oubli, Folio page 304) : suspendons cette citation à l’ouverture de notre parcours, pour ne pas trop vite donner au jeu un sens restrictif, pour le laisser ouvert, libre de rebondir ou justement de jouer.

     

     

    Le premier degré où se repère dans notre texte le théâtre concerne les paroles ou les attitudes du comme si, la simple feintise donc qui introduit le conditionnel, comme il est dit du « comme si du jeu (…) ou n’importe quelle relation supposée » (page 510), qui se rattache directement aux pages si fortes de La Mise à mort sur le « Let’s pretend » d’Alice proposant à sa chatte Kitty de jouer aux échecs, ou aux rois et aux reines, où Aragon voit pour sa part le moment ou l’art d’entrer dans le roman, le coup de pouce ou l’incipit qui entrouvre la porte des fables. Cette expression d’Alice est également rapportée, dans La Mise à mort, au « supposing » du serviteur chinois évoqué par Elsa dans A Tahiti (Pléiade V, pages 133-134).

    Plus franchement, le théâtre commence avec le débordement ou l’excès de la représentation, et particulièrement ou au premier chef des représentations amoureuses. On sait, notamment par un titre d’Olivier Barbarant, à quel point cette catégorie de l’excès colle à Aragon qui, d’une façon générale, aura été trop, en aura fait des tonnes. Notamment en amour. Cela est bien dit au début du chapitre « Le temps d’Eurianthe », qui revient sur « le théâtre d’aimer. De croire aimer. La femme-miroir. Qu’est-ce qu’on cherche en elle ? Elle ou soi ? Ou simplement le triomphe, un triomphe. Je me joue une pièce à grand spectacle » (p. 149).

    Il y a amorce de théâtre troisièmement dès que s’opère un débrayage énonciatif, ou relationnel : distinguons, en précisant. Aragon est souvent revenu sur « la tragédie du vous » (Blanche ou l’oubli) et le drame de paroles sans adresse ; c’est par excellence la situation de celui qui, sur le papier ou devant le trou noir béant au pied de la scène, écrit ou profère ses mots pour tous et pour personne. La parole du comédien exposé en pleine lumière, isolé par cette exhibition même, explicite ou aggrave la solitude de l’auteur qui ne sait pour qui, à qui écrire, et qui fait du langage un usage plus ostensif que performatif, qui montre ou cite entre guillemets au lieu de bonnement dire. (Dire et montrer, ces deux catégories d’abord explorées par Wittgenstein traversent toute la communication dont la parole est bordée ou enchâssée par les signaux mimo-gestuels, mais elles traversent aussi les usages du langage lui-même : on peut débrayer sa parole en la mimant, en la montrant ou en la citant dans des usages par exemple autonymes et autoréférentiels.) Le début du chapitre « Les paroles gelées » explore avec acuité ce débrayage à la fois énonciatif et relationnel du comédien épinglé, comme un papillon, sous les guillemets de sa parole surexposée dans le pinceau des projecteurs : « Maintenant que j’étais seul, dramatiquement seul, tout m’était devenu comédie. La conversation des autres. La mienne. Tout ne m’était vraiment plus que théâtre, un théâtre dérisoire. Le théâtre même. (…) L’emplir de mots inutiles. Ils éclataient le soir dans les lèvres peintes des personnages que je devenais sur des scènes où de plus en plus le langage de ma bouche m’apparaissait faux, artificiel. Il me semblait que je n’aurais pu parler qu’à des fantômes, comme le Vieux » (p. 331) ; et ce débrayage de la voix ou du comportement s’aggrave à la page suivante en celui de la croyance : « … nous étions entrés (…) dans un monde étrange de nuées, dans une crise où plus personne ne croyait à rien. (…) jamais il n’y avait eu autant de temples pour des déclamations à quoi personne ne croyait » (p. 332). Si nous avons lu, dans « Le monologue du théâtre », un éloge paroxystique du théâtre qualifié de « plus haut langage (…) Plus pur langage purement langage Rien / Que langage où / Les mots sont gestes rien / Que gestes rien que / Mots » (p. 113), cet autre passage détruit le privilège énonciatif du théâtre où la parole se vide d’effectivité ou d’action ; entre dire et montrer, entre l’acte de parole et son narcissisme sonore, entre les mots utilisés à l’horizontale dans la conversation ordinaire et ceux érigés à la verticale par le monologue théâtral, il faut choisir. Il faudrait lire toute la suite de ce monologue, à commencer par la comparaison des serpents au venin enfermé dans leurs globes de verre, pour comprendre qu’au théâtre rien n’advient vraiment et rien ne se passe, « rien n’est un fait tout simulacre » (p. 114)… Le théâtre, ce lieu où la parole apparemment s’enrichit et se recharge de corps et de décor, paye ce supplément d’un sentiment irréparable d’irréalité ; l’auteur de l’article « Du décor » (1918) le souligne lui-même sur cette notion cruciale qui a vite fait de disqualifier la représentation, en donnant le désir de renverser ou de crever les toiles peintes : « Pour toi, les choses, c’est toujours du carton, alors tu crèves » (p. 163, « Soliloque du comédien »).

    L’expérience de ce qu’on appellera après Derrida la parole soufflée signale ou souligne sa promotion et/ou sa déchéance théâtrale ; or nous savons par les Incipit combien cette expérience est ordinaire pour un auteur qui n’a pas écrit ses romans mais qui les a « lus ». Aragon y revient ici au chapitre « Le contre-dit » : « Ce que je puis assurer, c’est que je ne savais pas ce que j’allais dire et que je l’ai dit » (p. 185), et deux pages plus loin « il m’arrive, parlant, d’être entraîné par ce qu’on m’objecte, à dire une chose dont je n’ai nullement souvenir de l’avoir préalablement pensée, et d’où va découler tout ce que je dirai par la suite, sans avoir eu (ou pris) le temps d’y réfléchir » (p. 187), ce qu’il rattache à (en italiques dans le texte) « l’invention même de moi-même », ou encore page 188 « tâchez d’entendre cela comme une conversation entre deux personnages, un théâtre, le dialogue où l’un et l’autre des conversants opposent l’un à l’autre, sous les espèces d’un texte partagé, l’assertion de ce qui leur est soufflé, de ce qu’il ne sait pas d’eux-mêmes, et qui pourtant est pour chacun lui-même… ». Ces pages rabattent sur le théâtre, et sur une précieuse métaphore de l’escrime que nous commentons ailleurs, l’expérience troublante ou abyssale (dont témoigne tout Les Incipit) de cette création verbale, donc aussi bien identitaire, sans préméditation aucune et qui échappe dès l’origine à son « auteur », ce dernier terme concentrant donc la charge de l’énigme ou du secret.

    On passe vite de cette parole soufflée ou insinuée au dédoublement du sujet, ou à son occupation par un autre ; cette querelle identitaire, ou cette guerre menée entre deux individus au nom de la réappropriation de soi (ici entre Romain/Denis et « le Vieux ») recommence le théâtre fratricide de La Mise à mort entre Alfred et Anthoine. Le débrayage de l’énonciation conduit en effet facilement à celui de l’identité, et à la postulation récurrente d’être un autre, posée dès l’incipit (p. 13) comme une tentation, à laquelle fait écho p. 25 « ce cheminement polyédrique des pensées contradictoires, cette réinvention de moi-même dans un personnage offert ». « Qu’est-ce qu’un personnage, demandait Breton dans son célèbre Manifeste de 1924, sinon une tentation ? » N’étant pas romancier, l’auteur de Nadja n’aura guère succombé à ce glissement qui fut au contraire la grande passion (à la fois jubilatoire et douloureuse) d’Aragon, objectivement thématisée, mise en scène et analysée de multiples façons dans ses derniers titres. Parmi les mille (et lassantes) déclarations-déclamations qui frappent d’incertitude l’identité du narrateur-locuteur, relevons page 37 « Ainsi commence en / Moi ce rôle ampliatif d’être un autre et d’être / Moi-même Lequel des deux frappe à la porte / Et commence l’immense doute en moi de qui / Je suis celui qui parle ou l’autre qui m’épie / Me dicte (…) » (voir aussi p. 79, et 248 avec la comédie du lévrier). Cette bifurcation identitaire est explicitement rapportée, page 24, à l’absence d’assignation symbolique qui aurait pu venir à Romain/Denis par un père : « cette existence, qu’au lieu de tenir d’un père, je me donne, et l’auteur n’y est, les auteurs n’y sont pour rien, ou si peu, le prétexte (…) tout vient de moi, de mon kaléidoscope intérieur (…) ». Le théâtre apparaît donc ici comme la chance d’un auto-engendrement, la fiction d’une imposition symbolique toujours disponible, ou réalisable par soi seul – ce que contredit évidemment la notion même d’ordre symbolique, ici détourné ou perverti.

    Cette substitution n’a rien d’aimable ni de tranquille, puisqu’elle suppose une première disparition ou mise à mort de soi, d’où quantité de pages, à ce sujet encore, qui glosent interminablement le théâtre comme crime, meurtre rituel ou sacrifice public, par exemple la fin du « Monologue du théâtre » page 118 : « … car je suis / A la fois la victime et le victimaire / Celui qui tue et qu’on tuera (…) Théâtre à toi Par qui je cesse d’être / Et je deviens ». La tragédie (à quoi l’étymologie rattache la pratique du bouc émissaire) est toujours le parcours (sanglant) d’une certaine boucle, une réversion ou une circularité fatale de l’action, toujours elle-même portée par la bouche. Il faut donc lier ensemble le bouc, la bouche et la boucle émissaire, dans une même circularité qui fait la confusion tragique, déjà examinée dans un roman comme La Mise à mort, et explicitée ici.

    Si l’homme sujet au théâtre meurt à soi-même, et n’est donc pas (comme le voulait Kant) le siège de ses représentations, si le simple cogito du je pense/je suis glisse vers quelque il est pensé/il suit, une incertitude générale envahit la scène mentale, le jeu déborde, et frappe les frontières mêmes du jeu, ou des jeux qui voudraient s’enclorent ; il n’y a plus de frontières entre jeu et non-jeu, la notion même de jeu (au sens de dérèglement, de hiatus) frappe de confusion les certitudes les plus ordinaires, en bref nous entrons ou sombrons dans le grand jeu, bien exprimé il me semble dans la pathétique demande lancée page 34, « Quand est le vrai de vivre je vous prie / Je vous supplie / Quand est le vrai de vivre et d’en mourir quand est / Le spectacle / Quand est mentir et le théâtre / Ou n’est-ce pas plutôt l’homme et la femme ensemble / La seule immense et peinte vérité ». Question abyssale, qui plonge au tourniquet du mentir-vrai, et suspend le principe de vérité, ou de réalité, à la relation de l’homme et de la femme, à cette pragmatique amoureuse dont on connaît pourtant l’instabilité, et les pièges. L’homme seul privé d’interlocution ou d’adresse devient la proie de ses rôles, le vertige du théâtre borde ou menace de toutes parts sa vie, comme pour Mercadier dans Les Voyageurs de l’impériale le vertige du jeu.

    Il faut en effet relier les pages si fortes qui dénudaient dès 1939, dans Les Voyageurs, le vertige du jeu de casino, aux abîmes du jeu théâtral sondés ici. Leur jonction s’opère page 150 de Théâtre/Roman dans l’interpellation provocante prêtée à la belle Eurianthe apostrophant le comédien : « Vous n’êtes pas joueur ? ». Le démon du jeu a saisi Mercadier à travers la Bourse, et il prend la forme des cartes à Venise puis Monte-Carlo. Les pages qu’Aragon consacre au baccara, dans la deuxième des « mesures pour rien », évoquent directement sa liaison orageuse, et qui faillit être mortelle, avec Nancy Cunard : un temps de voyages, de tables de jeu, d’étreintes passionnées et de course à l’abîme. Le tourbillon mondain de Monte-Carlo montre un monde de somnambules au bord du gouffre, une société sans œuvre ou qu’on dira, au sens fort du mot, désoeuvrée : non seulement les joueurs ne font rien mais il ruinent et démoralisent, en les confiant au hasard, le travail, le mérite ou les plaisirs qui occupent ailleurs les hommes… Cette puissante méditation sur le hasard au cœur de la vie sociale, et du mouvement historique, prolonge une morale et une esthétique bien attestées dans le surréalisme, et notamment dans Le Paysan de Paris ; les joueurs placeront toujours les prestiges de la perte et d’une folle insouciance plus haut que la raison. Les tables de jeu, à cet égard, concentrent l’énigme de la passion et communiquent ainsi avec l’abîme plus général du féminin : car ce sont des femmes, Carlotta, Francesca, Reine ou (pour Aragon) Nancy qui conduisent l’homme au jeu, au jeu qui désamarre le sujet de ses attaches ordinaires et fait pleinement de lui un être de vertige. Eurianthe est le dernier maillon de cette énumération, et elle boucle pour finir le prestige fatal de la roulette sur les feux du théâtre, confondus dans une même fascination.

    Equipés de ce parallèle, ou de ce nouveau paradigme, nous ne nous étonnerons pas de lire dans Théâtre/Roman des pages qui pointent dans le théâtre, comme dans les jeux de hasard, la part maudite de l’existence ou du désir ; le comédien se livre à une prostitution plus ou moins sacrée, « Et moi, pour eux, j’ouvre mon ventre et ma vie, je me vends, je m’entre devant eux dans le mensonge de moi-même, de tout ce que je suis je fais feu sur moi-même (…) » (p. 57) ; il appartient à cette corporation maudite des gens de sac et de corde auxquels on refuse sépulture chrétienne (p. 101), « Car tu n’es rien Théâtre qu’une fornication » (p. 117), « les mots te sont soufflés dont tu n’en combines pas l’enchaînement toi-même, tu couches dans des centaines de bras inconnus. Ceux qui ont payé pour pataugent dans tes plaies » (p. 162). La suite du texte aggrave cette confusion en attribuant aux artisans et officiants du théâtre tantôt l’inexistence des fantômes (p. 396) et tantôt des fantoches (p. 322).

    Le théâtre comme la roulette constitue donc l’horizon d’une (et l’aspiration à une) certaine perdition individuelle et sociale, dont Aragon à la suite d’Artaud, sans jamais le citer, a sondé toute la cruauté. Cette cruauté consiste à boucler l’extrême de la présence sur les artifices et les replis de la représentation ; à faire arriver, au lieu et au cœur même du simulacre, le réel dans son insoutenable, son intraitable irruption. Théâtre/Roman tourne autour de ce point d’effraction, sans pouvoir tout à fait en traiter ; ses pages les plus sombres font néanmoins écho, il me semble, à un curieux souvenir, de l’ordre peut-être d’une fausse reconstitution ou de ces songes qu’on prend pour des anamnèses. La roulette consiste à faire pénétrer une bille dans une case, comme le tir au pistolet une balle dans une tête. Au tome II de L’œuvre poétique, Aragon reprend son article des Lettres françaises de mars 1968 intitulé « L’Homme coupé en deux », sur la naissance et les entours des Champs magnétiques, pour raconter comment au printemps de 1920 Philippe Soupault et André Breton avaient écrit pour les soirées dada à venir une pièce de théâtre, S’il vous plaît, dont trois actes seulement étaient rédigés, le quatrième demeurant en projet sous la forme d’un happening : « Il fallait que le dénouement de la pièce mît ses auteurs en question, il s’agissait de donner à l’imagination une conclusion qui mît la vie en cause, une conclusion qui fût le drame. (…) Il n’y aurait pas de quatrième acte à proprement parler. Le rideau se lèverait sur les auteurs qui publiquement écriraient leurs noms sur des papiers pliés, jetteraient ceux-ci dans un chapeau, et y tireraient au sort qui des deux sur l’instant allait se loger une balle de revolver dans la tête. (…) Je ne pouvais regarder ni l’un ni l’autre de mes amis sans être pris d’épouvante. Et je savais bien que tenter de les dissuader, c’était ancrer en eux la résolution fatale. Il y eut, à cet air de carnaval des premiers mois de Dada à Paris, ce fond sinistre, entre nous ce secret » (OP II, pages 45-46).

    Histoire de nous rappeler que Dada pas plus que le théâtre ne sont des simulacres de tout repos, mais peuvent servir aussi à approcher la terreur.

     

    D.B.   Source: http://media.blogs.la-croix.com/aragon-en-son-moulin/2013/05/29/

     


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  • Daniel Bougnoux tient depuis quelque temps un blog sur le site du journal La Croix (on s'étonne mais c'est ainsi) et propose une lecture des lectures proposées pendant deux jours au Moulin à l'initiative de Marie-Christine Mourier. Voici donc:

    Nous étions, le groupe de recherche d’Erita et celui de l’Item, réunis deux jours durant vendredi et samedi derniers au Moulin de Saint-Arnoult en Yvelines pour parler de Théâtre/Roman, ouvrage qu’Aragon publia en 1974 avec pour mention sur la bande « Mon dernier roman »… Titre au libellé et au contenu énigmatiques, d’ailleurs assez peu lu : si La Mise à mort et Blanche ou l’oubli atteignent chacun depuis leur parution une vente de 80000 exemplaires, Théâtre/Roman semble plafonner autour de 17000. Ces trois titres constituent l’essentiel du tome V des Œuvres romanesques complètes en Pléiade, paru en octobre 2012, et si j’en ai annoté personnellement les deux tiers, j’ai été heureux de me délester de l’édition critique du dernier sur Philippe Forest car je n’aimais pas beaucoup Théâtre/Roman, avec ses coquetteries formalistes, ses jérémiades, ses jeux de mot à deux balles ou la question partout répétée de savoir qui y écrit, et pour qui… Ce qu’Aragon orchestrait souverainement dans les romans précédents en tressant savamment, sensuellement la chair d’une intrigue et de personnages malgré tout cohérents avec un questionnement philosophique ou théorique, me semblait faire place à un ressassement presque sénile : une dénudation brutale des procédés, un effondrement narratif, un clavier autrefois somptueux soudain réduit à quelques touches… Ce colloque m’a permis de réviser ce jugement, et de mieux entendre Théâtre/Roman, même si je lui préfèrerai toujours n’importe quel autre titre d’Aragon.

    « C’était à la fin mai quand rougit l’ancolie », dit du jardin du Moulin un poème des Yeux et la mémoire (1954). Nous étions venus à la bonne date mais il pleuvait, le parc n’était guère attirant et la grande salle peinait à monter en température. Au moins nos échanges furent-ils exempts de mélancolie : Aragon est un auteur qui plus que d’autres gagne aux colloques tellement son texte semble tissé ou croisé d’intentions contraires, d’arrière-pensées et de sous-entendus. Il vaut donc mieux se mettre à plusieurs pour déchiffrer, ou simplement lire, cette somme de ratures, d’aveux, de mensonges et de masques par quoi lui-même définit quelque part son art romanesque, et pour mieux entendre un auteur lui-même pluriel jusqu’au vertige. Le petit miracle de notre rencontre (une quinzaine de communications en deux journées) fut dans l’émulation générale, et l’excellente tenue des analyses présentées : s’il est rare qu’un colloque échappe à la répétition, à l’ennui ou à l’erreur de casting, tout fut dans celui-ci d’excellent niveau, l’interprétation régnait (comme Aragon dit des monuments dont on prend soin d’égaliser par le haut les façades).

    Et j’ai appris ou mieux compris notamment ceci : l’espace de Théâtre/Roman passe et repasse par une chambre, qui centre l’intrigue mais aussi la frappe d’incertitude car ce lieu du sommeil, ou de la rumination constructive, n’est pas propice aux évidences claires, ni à un réalisme de premier degré : au cœur de la chambre se tient le crâne du narrateur où tout s’emboîte, et se rêve, de sorte que notre roman, plus radicalement que le précédent encore, veut nous montrer « comment cela marche, une tête », c’est-à-dire les souvenirs et désirs d’un vieillard assailli de réminiscences, doublées de quelques remords, et assoiffé aussi de recommencement. Pas plus qu’Aurélien ne nous raconte la rencontre première de son héros et de Bérénice, nous ne voyons ici le déroulement d’un fil ou film événementiel : tout se passe à la cantonade ou dans le déjà-vécu d’une tête qui se remémore ou médite.  Roselyne Waller a donc particulièrement insisté sur le cinéma ou le théâtre intérieur de cette narration, constamment soupçonnée de tromperie, soumise à la réversibilité permanente du dehors et du dedans. Le texte fore sa propre profondeur, jusqu’à évoquer les mines de sel (la cristallisation stendhalienne) et de falun, du côté des fossiles géologiques donc, auxquels font contrepoint les exercices d’aération, de respiration, notamment par la multiplication des blancs qui espacent les phrases, ou dans les mots l’introduction des diérèses, des tirets ou des apostrophes (entr’acte)… La scène qui commence à la bouche explore ainsi, comme chez Beckett, un espace toujours à la fois ouvert et clos, une vacuole qui contient tout un monde.

    Le réel n’est pas une valeur sûre, il s’agit sans cesse de le reconstruire, avec tous les risques d’emphase et de falsification propres aux mots du poète, de l’amoureux ou du militant. D’autres approches furent donc convoquées et confrontées par notre auteur, réaliste impénitent, celle de la musique notamment, ou de la peinture, ou du théâtre des gestes et des corps exposés… N’y a-t-il plus de territoires mentaux à découvrir ? Se pourrait-il que les philosophes, les logiciens ou les linguistes aient d’avance quadrillé de leurs catégories l’expérience et les jeux, passés et à venir, que nous avons avec les signes ? On sait que le roman, pour Aragon, se joue en avant des sciences constituées, en avant de l’expérience consciente du sujet qui le compose et l’écrit, en avant des médias ou des outils de représentation déjà disponibles… Quatre fois répété dans ses titres, « roman » constitue dans cette mesure l’archi-genre, et l’horizon de toute connaissance, la plus haute synthèse intellectuelle (ni théorique, ni très méthodique) ; à Kundera qui souligne « le regard lucide et désabusé du romancier », on peut opposer la conception plus carnavalesque d’Aragon – qui lança en France l’auteur de La Plaisanterie, avant que celui-ci ne répudie la préface qu’il lui avait donnée pour mieux voler de ses propres ailes… Ce dossier des relations Aragon-Kundera se trouve bien débrouillé par Reynald Lahanque, qui rappela combien l’aveuglement accompagne la croyance, pourtant indispensable pour simplement croître, et bander ses forces : la dé-croyance accompagne donc la décroissance, ou le rétrécissement vital qui forment aussi ou d’abord le sujet de ce roman. Il était plaisant, tandis qu’ainsi nous parlions, de suivre par la fenêtre les évolutions sur la pelouse du lapin installé par Speedy Graphito, énorme baudruche bleue de trois mètres de hauteur qu’un inhalateur interne tantôt érige, et tantôt réduit à l’état de flaque de plastique sur le sol ; ces deux états du lapin, turgescent et détumescent, gonflé à bloc ou raplapla, ne manquaient pas d’évoquer dans l’inconscient des colloquants les passages d’un texte fertile en épisodes maniaco-dépressifs.

    On chercherait en vain dans ce roman terminal et fuyant, pour conclure avec Marie-Christine Mourier organisatrice du colloque, une phrase-clé qui le résumerait, ou le verrouillerait. Pas plus qu’une image fixe ou dernière de soi, où Aragon se reconnaîtrait. Lui-même ne pouvait donc que haïr les biographes ou les critiques qui prétendaient l’enfermer dans une histoire, dans un sens (et il le fit bien sentir à Pierre Daix, responsable de sa première biographie parue en 1975). S’intéresser à Aragon c’est courir après le mouvement perpétuel, ou se pencher sur la tragédie de l’identité – ce que lui-même appelle aussi dans La Mise à mort « cette abomination d’être ». La tragédie propre au « dernier roman » n’est pas tellement la mort que le rétrécissement des perspectives, l’angine atroce d’un esprit qui se heurte à lui-même, affolé de vérifier (après la mort d’Elsa) qu’il n’y a plus d’autre, ou plus que soi comme autre… D’où ses tentatives parfois désespérées, voire grotesques, pour relancer le jeu et prouver le recommencement quand même, et pour « déjouer le jamais plus » (Stéphane Hirschi), pour ne jamais finir en rebattant jusqu’au bout les cartes, jusque dans la dé-composition de son Œuvre poétique (Josette Pintueles).

    Je poste ci-contre ma propre contribution au colloque, intitulée « Le Grand jeu », où je tente d’analyser en 30 minutes les échelles de la théâtralité dans ce roman, depuis la simple feintise jusqu’à une déconcertante forme de cruauté. Ajoutons que nos échanges auraient été moins probants si une séquence proprement théâtrale ne les avait ponctués : la très jeune Marie Revault d’Allonnes a donné vendredi soir, à même la salle ou le sol où nous discutions et sans autre attirail qu’un projecteur et le décrochez-moi ça d’une penderie, son interprétation du poème Les Chambres (1969) entrecoupé de pages tirées de Théâtre/Roman. J’ai dit ici même sur ce blog (fin avril) les dangers de mettre en scène Aragon, à l’occasion du Paysan de Paris. L’essai et les parti-pris de Marie Revault d’Allonnes sont bien différents, et plus suggestifs : tout se joue avec elle sur la voix, chargée d’installer un monde, une chambre, un(e) destinataire ou des autres… Vêtue d’un costume trois-pièces blanc, qu’elle troquera en direct contre une robe rouge (comme si elle-même, ou le lieu, devait « changer à chaque instant de décor comme de chemise »), elle adopte pour dire le texte une voix ni personnelle ni impersonnelle, ni absente ni présente, ni directe ni enregistrée, une voix de rêve qui semble en effet planer sur les êtres ou les situations, susciter l’action et la replier dans le souffle, rabattre ou comprimer toute fiction sur l’art de la diction. Et le costume d’abord d’homme laisse planer également le genre, jamais ni tout-à-fait masculin ni féminin. Je ne sais si son théâtre est aragonien, mais il consonnait fortement, dans l’espace de cette salle et au terme de notre journée, avec nos propres lectures ; et Marie eut l’habileté aussi de feindre l’accident, la panne de texte ou de lumière, pour remettre en frottement la représentation et la présence, le monde du théâtre et la cruauté du réel. On peut voir son spectacle, « Les Chambres », tous les mercredis à 19 h. au Théâtre Darius Milhaud, 80 allée Darius Milhaud dans le XIX° (réservations au 0142019226).

    Speedy Graphito de son côté ne s’est pas contenté d’installer son lapin ; à l’invitation de Bernard Vasseur, directeur du Moulin et infatigable prospecteur d’artistes plasticiens qu’il invite dans le parc et sur les cimaises, le « street artist » a planté dans l’herbe un mur qu’il a, comme Aragon fit dans sa dernière décennie des murs de son appartement, saturé d’images empruntées à la rue, aux clichés du cinéma ou de la BD. Et il a suspendu dans la salle où nous conférencions d’agressifs (et suggestifs) paysages nord-américains, traités dans un style qui évoque Crumb, ou le vermoulu de Bellmer, ou les stéréotypes flashy et punchy du pop-art, ou l’écran de nos ordinateurs, ou le dripping de Pollock…, drôles et percutants. A voir peut-être sur son site, que je n’ai pu encore consulter.

    Daniel Bougnoux le 29 mai 2013

    http://media.blogs.la-croix.com/

     


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